Le mystère Chaissac

En grand justicier des artistes oubliés, le Musée de Grenoble souhaite replacer Gaston Chaissac – dessinateur, peintre, sculpteur et poète assez méconnu du grand public – à sa juste place dans l’histoire de l’art du siècle passé. Avec, en guise de preuves, une exposition extrêmement bien construite. Aurélien Martinez

«Vous pourriez faire un rapprochement entre mes tableaux et la rusticité du langage des paysans (qui déforment les mots comme moi le dessin). Au fond, en peinture, je parle patois» : voilà comment l’autodidacte Gaston Chaissac se présentait au public, simplement. Peintre méconnu et mésestimé du milieu du siècle dernier, mais pourtant artiste majeur de l’histoire de l’art : voilà ce que souhaite démontrer aujourd’hui le Musée de Grenoble, tout aussi simplement. Pari gagné avec une exposition réussie, puisque balayant, sur deux cents œuvres – dont de nombreux inédits prêtés par la fille de l’artiste – l’ensemble de la carrière de Chaissac, des dessins de ses débuts aux grands totems de la fin de sa carrière. Le parcours au sein des salles suit ainsi cette logique ; le tout parsemé de citations éclairant le visiteur sur cet homme hors norme qui avait choisi de s’isoler du milieu parisien dont il se méfiait terriblement (il vivait en Vendée).

Spleen coloré

«Je suis un artiste et c’est incurable, je suis capable de faire des choses que tout le monde ne peut pas faire. Par conséquent, il m’est difficile de faire ce que tout le monde peut faire.» Au cours de son existence laborieuse – il avait une santé extrêmement fragile –, Chaissac s’était intéressé à de nombreux domaines de l’art : le dessin d’abord (aussi bien de façon étudiée que spontanée, presque enfantine), puis la peinture (sur différents supports), la sculpture et l’écriture. Ces différents aspects, complémentaires les uns par rapport aux autres, sont tous abordés au cours de l’exposition. Il est ainsi impressionnant de contempler tout son travail sur la couleur (Guy Tosatto, le directeur du Musée, n’hésite pas à parler «d’un des plus beaux coloristes des années cinquante»), et ensuite découvrir l’excentricité de ses peintures sur tôles (ici un couvercle, là un seau…). De se plonger dans le minimalisme de certaines de ses toiles (réalisées sur des matériaux sommaires) et ensuite déambuler dans une salle truffée de totems géants (effet saisissant garanti). Cette richesse des approches explique la difficulté pour classer notre homme dans un genre défini – ce que Dubuffet avait tenté en l’incorporant dans son mouvement de l’art brut, avant de finalement l’en exclure brusquement. «La singularité de son œuvre dans son temps ne trouvait que très peu de points de contact avec l’art de l’époque» écrit Guy Tosatto, qui évoque au sujet de Dubuffet «une erreur d’appréciation regrettable qui enferme durablement Chaissac dans une catégorie des créateurs à laquelle il n’appartient pas». En effet, sa production artistique transcende les courants, les écoles et les styles. Il développa une œuvre singulière, représentant souvent des personnages au corps déformé, voire atrophié (il admirait Picasso, comme le démontre l’exposition avec la reproduction d’un tableau du maître espagnol que Chaissac avait réalisée). Une œuvre néanmoins touchante, chaleureuse, généreuse et drôle, qui peut surprendre de la part de quelqu’un empli d’une grande mélancolie…

Chaissac au premier plan

«Je resterai pour beaucoup sans doute une énigme» ironisait-il. Peut-être plus pour longtemps Monsieur Chaissac ! Car après avoir visité l’exposition, on peut légitimement prétendre avoir percé un bout du mystère, sans pour autant saisir la complexité entière du personnage (même sa fille, présente le jour du vernissage, avoue ne pas pouvoir tout expliquer dans l’œuvre de son père – voir interview ci-contre). L’artiste, mort en 1964 aux prémices d’une reconnaissance réelle (seulement deux expositions lui avaient été consacrées de son vivant), aurait eu cent ans en 2010. «Revenir à Chaissac aujourd’hui, c’est réaffirmer avec force la place de premier plan qu’il occupe dans l’art français d’après-guerre» assure Guy Tosatto. Mission accomplie.

GASTON CHAISSAC, POETE RUSTIQUE ET PEINTRE MODERNE
Jusqu’au 31 janvier 2010, au Musée de Grenoble

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Lundi 2 novembre 2009 Annie Chaissac, la fille de l’artiste, était présente vendredi lors de la journée d’inauguration. Ça tombe bien, nous aussi ! Propos recueillis par Aurélien Martinez
Lundi 2 novembre 2009 ATELIER. Avec cette nouvelle exposition intelligemment construite, le Musée de Grenoble met les petits plats dans les grands en organisant un atelier (...)
Vendredi 11 septembre 2009 ART BRUT. Le Musée de Grenoble aime exposer des artistes du milieu du XXe à contre-courant de leur époque et souvent reconnus tardivement. Après le peintre (...)

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X