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Gontard : « éviter le tiède ! »
Par Stéphane Duchêne
Publié Lundi 12 mars 2018 - 5222 lectures
Photo : © Ray Bornéo
Gontard + Williame
Kraspek Myzik
ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement
Chanson Rock / Avec son deuxième album, plus personnel, Gontard continue de faire rimer d'un timbre impassible les mots engagé et enragé. Véritable moulin à cafard, empreint de résignation et de révolte, "Tout naît / Tout s'achève dans un disque" brille aussi musicalement comme un phare dans le paysage trop tiède de la chanson rock. Interview avant son passage au Kraspek Myzik.
Tout naît / Tout s'achève dans un disque fait suite à Repeupler (2016). Les deux titres se répondent presque...
Gontard : Pour le premier album, je voulais quelque chose d'assez fort autour du repeuplement, ce que ça veut dire et implique. Est-ce qu'il faut laisser ce terme aux extrêmes ou considérer qu'il était temps pour nous, en tant qu'humanistes, de repeupler, repeupler les amours...
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Pour le deuxième, je voulais revenir à l'échelle d'un disque. Je trouvais le côté manifeste de Repeupler intéressant mais je voulais revenir sur l'essence de ce qui me parle : l'expérience intime autour d'un disque plus personnel, moins sociétal, plus organisé sur des thématiques qui me sont chères – la masculinité, le féminin, l'industrie du disque – sans que ce soit trop fumeux ou verser dans le concept album.
J'aimais beaucoup cette expression populaire "tout naît / tout s'achève" et je trouvais intéressant de penser que la personne qui écoute ce disque peut vivre une expérience. On zoome un petit peu plus à l'échelle de ce que je suis moi. C'est aussi pour ça que j'ai enlevé le point d'exclamation de Gontard !. Beaucoup pensait qu'avec ce point d'exclamation, Gontard était un groupe ; mais non, Gontard, même si je bosse avec des musiciens, c'est un bonhomme et c'est moi.
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Il y a pas mal de chansons sur cet album où la musique plutôt enlevée tranche avec le texte. Est-ce une manière de, justement, faire fonctionner la musique comme un révélateur du texte ?
À la base je viens de la pop, du rock indé, de la soul, et même si j'aime les ambiances mélancoliques, que je suis un peu énervé, je n'oublie pas ça. J'aime la distorsion entre le texte qui peut être bien plombé et puis une atmosphère bien sautillante. Là, l'idée, c'est que musicalement on puisse se permettre des choses mais qu'on ne transige pas sur les textes. Il n'y a rien de pire qu'un morceau avec une intro mortelle qui s'enchaîne avec des paroles mièvres.
Repeupler était beaucoup plus axé sur les guitares, plus électrique, plus dark. Là, on a beaucoup bossé sur les claviers en première ligne avec une vraie couleur pop indé. Et beaucoup de cuivres. Ça donne une teinte plus cinématographique à l'album.
Comment travaillez-vous vos textes ?
Le process est souvent le même. Je sample beaucoup d'artistes. Donc j'ai tout un échantillon de samples et de temps en temps, je pars m'isoler dans le Sud et j'arrive avec des carnets pleins de petites phrases que j'ai chopées à droite à gauche et surtout tous mes samples. Et j'essaie de tout mixer. Je retouche ensuite assez peu ce que j'écris.
Ce n'est pas quelque chose qui va durer des mois. Je propose ensuite tout ça au groupe et là ça cherche beaucoup. Musicalement ça prend du temps. L'étape d'écriture des textes, je l'imagine plus comme une phase d'écriture de roman. J'ai toujours été beaucoup trop fainéant ou trouillard pour écrire un roman – peut-être que ça viendra un jour – mais il y a quelque chose comme ça et on ne demande pas à un écrivain de refaire son roman parce que des musiciens sont intervenus entre-temps.
Au quotidien, dans votre travail, vous êtes engagé auprès des jeunes de votre ville. Cet engagement nourrit-il votre engagement musical ou considèrez-vous que ce sont deux choses bien séparées ?
Pendant très longtemps, j'ai voulu séparer tout ça mais c'était d'un égoïsme fou parce que finalement, le bonhomme que je suis est aussi sincère quand il travaille avec des jeunes de cité dans des établissements d'éducation prioritaire où il y a des problèmes tous les jours, de papiers, d'accès aux soins, de maîtrise de la langue... Je ne me considère pas comme un chanteur social, je ne suis pas Bernard Lavilliers, mais chez moi les questions sociales arrivent forcément.
Après, l'engagement du type "stop à ci", "stop à ça" ou "je soutiens Ségolène Royal", ça m'intéresse assez peu mais je peux faire une chanson d'amour sur une banlieue dortoir. Les chanteurs français qui, à longueur de temps, vont dire "viens mon amour on s'échappe", tu ne sais jamais où ils s'échappent. Tu ne sais jamais de quel monde ils sont. Je n'ai peut-être pas un public immense mais au moins il sait d'où je chante. Quand tu vois un film de Ken Loach, tu vois d'où il parle.
Il y a quelque chose qui oscille entre la lutte et la résignation dans vos chansons. Où se trouve la vérité ?
La vérité, c'est le curseur quotidien de nos vies. L'exaltation, le désir, la volonté, le bonheur, sont là, mais concrètement on est toujours ramenés vers le bas. Si tu prends la loi travail – qui sur le terrain va être dévastatrice –, si tu as des proches qui vont à l'hôpital public, tu pleures !
J'essaie le plus possible de retranscrire ce va-et-vient en disant : il faut prendre les armes – mais les armes, ce sont des bouquins, des disques... Et à la fois je me dis c'est mort, ils sont en train de faire passer toutes leurs sales lois, et on ne bouge pas, il n'y a personne dans la rue, les syndicats sont complètement amorphes... Je godille entre les deux mais comme tout le monde. Ce qu'il faut absolument éviter, c'est de faire du tiède.
Vous évoquez beaucoup cette espèce de centrisme mou dans vos chansons, le nôtre et celui des politiques. Vous l'appelez : La main tiède de la violence. Avez-vous été particulièrement marqué par l'élection du président actuel ?
J'avoue que pour moi, le mal était déjà fait. Ce qui m'a profondément marqué en tant que citoyen et en tant que chanteur, ç'a été l'élection de François Hollande. Quand on est élu en étant de gauche, on est censé protéger les gens les plus simples. Mais ce titre est aussi une charge contre le monde culturel. Quand tu reviens de festival juste avant l'élection de Macron et que tu y as entendu dire "on s'est réunis entre programmateurs de salle et on va voter Hamon" ou "on hésite entre Macron et Hamon", tu te dis : mais que n'a-t-on fait ?
Les gens sont déconnectés. « La main tiède » elle est là, c'est l'extrême-centre. C'est un concept que je n'ai pas inventé, ça date de la Révolution. C'est reprendre la main sur les pasionarias de gauche et tout lisser. C'est dire que moi qui suis un peu de gauche, je suis aussi dangereux qu'un mec d'extrême droite. Et c'est l'extrême-centre qui décide de ça. Sur ce disque, bien plus que sur le précédent, il y a une forme de résignation par rapport à ça. Et avec Macron, il semble que les choses soient encore plus verrouillées.
Pourquoi continuez-vous de porter ce masque de lapin ?
Parce que je trouve qu'il projette quelque chose de moi qui m'interpelle. Sur scène par exemple, il projette des ombres que je trouve intéressante. Et c'est ce qui m'intéresse : c'est quoi mon ombre et qu'est-ce qu'elle projette ? Cette espèce d'animalité étrange. Pourtant, de plus en plus, je joue avec, je l'enlève, c'est important de l'enlever pour ne pas montrer qu'on en est prisonnier. Mais je m'y suis beaucoup attaché.
Et puis ma réflexion c'est aussi, comme je suis assez joueur, est-ce que les chanteurs de pop n'ont pas tous un masque physique ? Avec les mêmes gueules, les mêmes barbes, les mêmes mèches. Et moi je suis comme ça aussi physiquement. Donc finalement, mon identité m'intéresse moins que celle que j'ai fantasmé par Gontard. Et puis la scène, c'est un spectacle.
Gontard + Williame
Au Kraspek Myzik le jeudi 1er novembre
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