Elles murmurent des spectacles aux personnes malvoyantes

Inclusivité / Depuis plus d'un an, des étudiantes lyonnaises soufflent bénévolement des spectacles aux oreilles des personnes malvoyantes dans le cadre du dispositif Les Chuchotines, qui gagne en popularité.

« On institutionnalise quelque chose qui a toujours existé. Les conjoints et amis de personnes malvoyantes ont toujours soufflé ce qu'il se passait sur scène », déclare modestement Laetitia Dumont-Lewi, enseignante en Arts du spectacle à l'université Lyon 2. Elle revient sur le dispositif qu'elle a lancé il y a plus d'un an : Les Chuchotines. D'abord une émanation de l'association parisienne Les Souffleurs et récemment devenu indépendant, le service propose aux personnes aveugles et malvoyantes d'accéder à l'événement de leur choix dans les salles partenaires, accompagné d'une chuchoteuse ou d'un chuchoteur.

Le dispositif a très bien fonctionné l'année dernière, tant et si bien que la demande a excédé l'offre durant la Biennale de la danse. « Je me suis moi aussi prêtée à l'exercice pour que personne ne soit lésé », se souvient l'enseignante. Ce sont aujourd'hui six théâtres et encore plus d'événements lyonnais qui participent au projet. Ces derniers offrent la place à la chuchoteuse bénévole qui accompagne une personne malvoyante.

Proposer un plus large choix de spectacles qu'en audiodescription

C'est en licence d'Arts du spectacle que sont formés les bénévoles qui soufflent à celles et ceux qui en font la demande. Laetitia Dumont-Lewi a d'abord enseigné l'audiodescription avant de proposer une option facultative « chuchotage » pour ses étudiants à la rentrée scolaire 2022. « Il y a très peu de pièces disponibles en audiodescription, car cela a un coût financier énorme », explique-t-elle. Un manquement à la loi de 2005 rendant obligatoire l'accessibilité de tous les événements culturels aux personnes en situation de handicap. Cela l'a motivée à lancer le dispositif : « La rareté de l'audiodescription amplifie le sentiment d'illégitimité que ressentent certaines personnes malvoyantes à l'idée d'aller voir du spectacle vivant. Il fallait proposer une alternative. »

L'année dernière, ce sont 8 étudiantes qui ont suivi les 25 heures de formation au chuchotage. Un volume d'heures nécessaire d'après Violette Dulac, étudiante en master d'Arts du spectacle, car l'initiation commence par une dense partie théorique. « En trois ans à étudier les arts du spectacle, on a évoqué brièvement les freins socioéconomiques, racistes et sexistes à l'accès à la culture, mais presque jamais le handicap. J'ai réalisé à quel point le spectacle vivant en général manque d'inclusivité pour ces publics. »

Un service humain pour du spectacle vivant

Les chuchoteuses en herbe ont ensuite dû apprendre les rouages de l'exercice. « On pourrait croire -à tort- que c'est facile », raconte Violette Dulac, pourtant coutumière des spectacles. Elle évoque la nécessité de travailler en amont avec des documents, des vidéos, pour familiariser la personne accompagnée à l'univers de l'oeuvre. Puis, le gros du travail, chuchoter une fois le rideau levé. « Ce n'était pas évident, il faut mettre l'accent sur la scénographie, les entrées et les sorties plutôt que les petits détails. Quand il y a du texte, on ne peut pas parler en même temps. Il faut éviter d'assaillir la personne d'informations pour qu'elle puisse être au contact de l'oeuvre », énumère celle qui a accompagné sept personnes l'année dernière. « Il ne faut pas oublier que c'est avant-tout une rencontre, un moment d'échange », conclut-elle.

L'artiste plasticienne Marine Rivoire abonde avec enthousiasme. Malvoyante, elle se réjouit de cette « double alchimie » qui opère à chaque fois qu'elle va voir une œuvre accompagnée. Elle préfère même le chuchotage à l'audiodescription pour certains spectacles, notamment de danse : « C'est important de laisser exister le mouvement pour le mouvement, avec quelques mots qui suggèrent un intention. Les audiodescriptions sont souvent ininterrompues, ce qui m'empêche d'entrer vraiment en contact avec l'émotion. » Marine Rivoire insiste, il n'existe pas de solution unique pour rendre accessible toutes les œuvres aux personnes malvoyantes. Les dispositifs qui fonctionnent très bien pour certains médiums -comme le cinéma- ne se prêtent pas forcément au spectacle vivant.

Le dispositif bien reçu par les publics lyonnais

Marine Rivoire se fait chuchoter les spectacles depuis maintenant des années. Elle a commencé avec des proches, sans dispositif. « Je prends à chaque fois le temps d'expliquer à mes voisins qu'ils risquent d'entendre un léger chuchotement, dans la plupart des cas, il n'y a aucun problème », détaille la plasticienne. Et ce, où que soit placé le duo dans la salle.

Un constat rejoint le Théâtre Nouvelle Génération, qui se dit ravi du dispositif. De nouvelles réservations ont déjà été demandées pour des jeunes publics en décembre. « De plus en plus d'enseignants en font la demande pour leurs élèves malvoyants ». Seul regret du TNG, le théâtre ne peut pas soumettre toute sa programmation aux Chuchotines : « Je ne vois pas comment ce service pourrait s'adapter à nos spectacles immersifs, qui nécessitent un casque de réalité virtuelle par exemple. On veut y travailler. »

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