Mathieu Rochet, l'Américain

Portrait / Le réalisateur Mathieu Rochet porte sa passion pour le hip-hop à l’écran depuis des lustres. Autodidacte empli d’humour, le Lyonnais a fait ses gammes avec "Gasface". "Lost in Traplanta", son dernier bijou de websérie, fait le buzz sur Arte : qui se cache derrière la caméra du plus américain des gônes ?

Jusqu’à ses 35 ans, le natif de la Croix-Rousse a plus souvent mis les pieds à New York qu’à Paris. Passion pour le hip-hop oblige ? Pas seulement. Sa famille entretient une affection particulière pour le continent nord-américain : elle s'est installée sur la côte Est avant sa naissance. Lui grandit entre Tassin et Écully. Plus au vert. Ses premiers émois musicaux le portent ver le hard rock : « je délirais à courir dans les bois avec Iron Maiden à fond dans mon walkman ». Jusqu’au jour où son grand frère lui file une K7 de Run DMC. Déclic, « il y avait tout ce qu'il fallait dans le rap. » Le regard de ce féru de basket se tourne de l’autre côté de l’Atlantique. Et trouve un peu des États-Unis à Lyon grâce à Kymon, originaire de Chicago, dont le père travaille à Interpol : « ils avaient des portraits de Malcolm X ou Marcus Garvey chez eux, ça m'a marqué. J'écoutais Naughty by Nature, du rap de gamin. Lui m'a fait découvrir A Tribe Called Quest. » À la maison, c’est le désert, « on n'a que six CD dont quatre de Jean-Jacques Goldman », s’amuse Mathieu. Alors il compte sur les grands frères des potes ou son cousin d’Avignon qui capte MTV — « je découvrais les clips d’Ice Cube, du Wu-Tang Clan. » L’histoire d’amour se concrétise à 14 ans lorsqu’il accompagne pour la première fois son père en tournée professionnelle aux États-Unis.

Côté ciné, sa maman, adepte de Hitchcock comme d’Eddie Murphy, lui fait son baptême de salle obscure avec Un prince à New York. Depuis sa campagne lyonnaise, le vidéo-club sera son eldorado : d’un côté les films sombres choisis par son frère ; de l’autre, son beau-père, ex-accessoiriste au cinéma, lui fait découvrir Le Garde du corps de Kurosawa. Ah, Kurosawa !

Jusque-là ce n’était que du visionnage boulimique. « Alors qu'un Kurosawa, t'en regardes un et ça t'assoit. »

Gasface : du magazine au webdoc

La vingtaine au tournant, les copains de Radio Canut s’absentent pour les vacances et Mathieu fait la permanence aux côtés de Nicolas Venancio — qui deviendra son binôme dans l’aventure Gasface. L’occasion est trop belle pour amener sa vision du rap, moins sérieuse que celle de ses confrères : « la radio étant en bas des Pentes, n'importe qui entrait dans le studio, du coup on leur collait casque et micro. » Dans le crew, Mathieu est seul à maîtriser l’anglais, une aubaine pour les interviews. Il se retrouve à Paris pour rencontrer le légendaire DJ californien Madlib. Premier essai loupé. Sa timidité de côté, il remet le couvert le lendemain : « j’ai eu l’info qu’il serait chez Chronowax (NdlR : distributeur de disques) alors j’y suis allé au culot en prétextant un rendez-vous avec lui. Ça a marché. On a parlé reggae, ce qui me distinguait de ceux qui se concentraient uniquement sur le rap. »

La machine est lancée. Pour réaliser leur magazine Gasface, Mathieu et Nicolas passent des heures de bus à sillonner l’Europe pour intercepter les artistes et en tirer les meilleures interviews possibles. Le rythme est soutenu, car leur Journal scientifique dédié à l’amour et la vérité voit au-delà du hip-hop. Il se remémore un entretien introspectif avec un membre du Wu-Tang jusqu’à cinq heures du mat’. Et puis le bad buzz. Le dernier numéro titre "Faut-il avoir peur de ces enculés de Blancs ?" — une vanne qui débouche sur le boycott du syndicat des kiosquiers et des menaces de mort. Mathieu explique que le projet s’essouffle aussi : « le pic était atteint comme on faisait tout à trois avec notre graphiste. »

C’est sans compter sur l’opportunité portée par Silvain Gire, directeur éditorial d'Arte Radio, qui a pour mission de développer le webdocumentaire. Le duo de Gasface participe à l’essor de cette réalisation hybride, encore à ses débuts. Naît ainsi New York Minute, dont les épisodes sont griffonnés le temps du trajet sur la ligne 8 à Paris.

S’ensuivent Kubrick & The Illuminati, qui décrypte la dernière œuvre de Stanley Kubrick, réalisé en six jours ; Lookin4Galt, dont la quête de Galt MacDermot (compositeur de la comédie musicale Hair) n’est qu’un prétexte à aborder le sample et la transmission. Quel rapport me dites-vous ? « L’idée est que les mecs du hip-hop ont à la fois une connaissance encyclopédique sur tout — du rock psyché au funk en passant par le gospel ou la soul du Sud — et sont infiniment créatifs pour renouveler les choses et en faire leur propre culture. » Mathieu poursuit : « Galt MacDermot n’a rien à voir avec eux en apparence, pourtant ils le samplent car il avait le funk avant le funk et il était son propre éditeur comme les rappeurs aujourd’hui. »

Faire rimer ambition et réalisation

On retrouve ce processus détourné et très fin dans Lost In Traplanta, sa dernière websérie où Larry, largué par sa copine, a pour pari de réunir le groupe mythique OutKast — planqué depuis plus d’une décennie — pour la reconquérir. Cette fiction-documentaire dresse une fresque musico-sociale d’Atlanta, épicentre de la trap, le tout teinté de cet humour juste dont est doté Mathieu. Trois ans de préparation pour quinze jours de tournage en mode road trip : « quand tu es très cadré, tout le monde sait ce que tu vas chercher. » C’est ce qui séduit sa productrice, Sara Brücker, lorsqu’il lui présente son synopsis. Elle raconte apprécier son écriture d’auteur, riche de son expérience chez Gasface, qu’il maîtrise avec aisance : « tout est concret, il sait ce qu’il veut et réagit vite. C’est un bonheur pour un producteur ! » La boss de Résistance Films le décrit aussi comme « très curieux et à l’écoute », comme un réalisateur qui sait trouver les solutions dont il a besoin. Elle est notamment bluffée lorsque l’équipe réussit à franchir le pas du strip-club très fermé Magic City. Ceci grâce à Dr. Dax, son fixeur et meilleur ami de Big Boi (NdlR : l’un des membres d’OutKast). Riche de ses voyages et rencontres, Mathieu sait à quelle porte toquer.

L’une de ses rencontres les plus marquantes reste celle de James Gray, réalisateur d’Ad Astra. N’ayant jamais fait d’école de cinéma, cette interview fût son initiation suprême. Il lui confie les clés d’un monde de possibilités : « son propos c'était que dorénavant les gens sont très instruits sur l'image contrairement au son, qui reste le seul élément sur lequel on peut encore les surprendre. J’ai été jeté là-dedans grâce à lui. » Mise en pratique dans Hell Train, qui adapte l’Enfer de Dante dans le New York contemporain, sonorisé par des crocodiles qui grognent ou des échos spatiaux tirés de la saga Alien.

Le gone de l’Empire State regrette d’ailleurs qu’on différencie cinéma et web-réalisation. « Ce n’est pas plus petit ou moins bien. Depuis New York Minute le but est de faire du ciné sur le Web. Mon mètre étalon c’est pas une websérie, c’est Coppola et Kurosawa. »

Lost in Traplanta disponible sur Arte.tv


Repères

1979 : naissance à Lyon

2000 : création de Gasface

2010 : New York Minute

2013 : Kubrick & The Illuminati

2013 : Lookin4Galt

2015 : Hell Train

2019 : Lost in Traplanta

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