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Olivier Dacourt : « témoigner sur le racisme dans le football est un acte de courage »
Par Stéphane Duchêne
Publié Mardi 26 février 2019 - 3559 lectures
Photo : © DR
Je ne suis pas un singe
Institut Lumière
ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement
Festival Sport, Littérature et Cinéma / Un an après Ma part d'ombre, Olivier Dacourt vient présenter au Festival Sport, Littérature et Cinéma son nouveau documentaire, Je ne suis pas un singe, coréalisé avec Marc Sauvourel. Où l'ancien international enquête sur le phénomène ancestral et endémique du racisme dans le football, à grands renforts de séquences d'archives et de témoignages édifiants. Entretien avec l'intéressé qui évoque également son goût pour le travail documentaire.
Lorsque vous aviez réalisé Ma part d'ombre dans lequel une poignée de footballeurs dévoilaient les blessures de jeunesse qui ont contribué à les construire, vous partiez d'une expérience personnelle. Avec Je ne suis pas un singe, vous vous attaquez au sujet du racisme dans le foot, qu'est-ce qui vous y a poussé ? Vous en avez été victime vous-même ?
Olivier Dacourt : Le jour de la diffusion de Ma part d'ombre, Blaise Matuidi a été victime de cris de singe avec la Juventus lors d'un match contre Cagliari et l'arbitre n'a rien fait. Ça faisait écho à ce que nous racontait Zlatan Ibrahimović dans Ma part d'ombre sur le racisme qu'il avait vécu en Suède dans sa jeunesse parce qu'il ne s'appelait pas Svensson. Ç'a allumé quelque chose en moi, même si bizarrement je n'ai jamais été victime de racisme dans un stade. On ne m'a pas fait de cris de singe. Peut-être parce que je suis un peu plus clair de peau qu'un joueur africain. Ou parce que quand je rentrais sur le terrain, je faisais totalement abstraction de ce qui se passait autour.
Au quotidien, lorsque l'on suit le football, on ne mesure pas les actes racistes dans les stades autrement que comme des péripéties émanant de quelques idiots. Or vous menez ce documentaire comme une enquête policière, presque un cold case dont il faudrait rassembler les éléments, les preuves, les manifestations, avec cette vertu d'en montrer l'étendue, l'accumulation, les variantes, jusqu'au vertige...
Mon premier souvenir en la matière remonte à l'enfance, quand le gardien camerounais Joseph Antoine-Bell se fait jeter des bananes lors d'un Bordeaux-OM par les supporters de son ancienne équipe. Je m'en rappelle comme si c'était hier. Trente ans après, rien n'a changé malgré les stades suspendus, les sanctions. Et je me demande : « mais qu'est-ce qu'on n'a pas fait ? » L'idée c'était de faire le constat d'une situation mais surtout, et c'est le plus important, de donner la parole à tous les acteurs, joueurs, dirigeants. Mais je voudrais souligner que si on donne la parole à tout le monde, à aucun moment on ne prend position. On ne sait pas ce que je pense et ça c'est important. On se pose des questions et on essaie d'y répondre.
Quand vous allez jusqu'à donner la parole à ce supporter fasciste d'Hellas Verone qui arbore un tatouage de Mussolini sur la poitrine, y a-t-il vraiment quelque chose à comprendre de son discours ?
Déjà, on n'a pas l'habitude de voir un supporter assumer son discours fasciste et "justifier" son racisme. Ça permet au moins de savoir ce qu'il a dans la tête, pourquoi il se comporte et pense comme ça. On a une explication que l'on comprend ou pas. On a tout le loisir de ne pas être d'accord. C'est pour ça qu'on a choisi de lui donner la parole et je peux vous dire que pour moi, ç'a été un moment très compliqué.
Comment amène-t-on des joueurs pro à se confier sur un sujet aussi sensible. Avez-vous essuyé beaucoup de refus ?
Témoigner sur un tel sujet est un acte de courage et je salue particulièrement Samuel Umtiti qui est un jeune joueur, champion du monde, qui évolue dans l'un des meilleurs clubs du monde [le FC Barcelone, NdlR] et qui n'a pas hésité à parler, tout en précisant qu'il ne se voit pas comme une victime, alors qu'il sait qu'il peut ternir son image. Quand on joue au foot on essaie de ne pas faire de vagues sur les sujets de société. C'est beaucoup plus facile pour un joueur retraité ou en fin de carrière qui a moins à perdre. Mais le sujet est important et tout le monde a un devoir. Samuel a été exceptionnel. D'autres n'ont pas voulu parler, c'est leur problème et c'est leur droit. La liberté d'expression c'est aussi le droit de se taire.
Vous présentez Je ne suis pas un singe dans un festival de cinéma. Sur un plan personnel, qu'est-ce qui vous a intéressé, vous l'ancien footballeur et consultant télé, au travail de documentariste ?
Avant d'en arriver là j'ai fait des courts-métrages, j'ai fait beaucoup d'interviews. Ce qui m'intéresse c'est que c'est beaucoup plus profond que le travail de consultant où l'on est dans l'instantané. Là, il y a un vrai travail d'investigation sur le temps long très en amont et j'aime ça. Et puis je suis passionné d'art et de cinéma et j'aime raconter des histoires.
Est-ce votre expérience de joueur, ce que vous y avez mis en tant qu'homme, qui vous pousse à dévoiler ce qu'il y a dans les coulisses d'une carrière de footballeur – les failles, les difficultés – et que les gens ne voient pas.
Exactement. J'ai des enfants et quand je vais au stade je vois à quel point les parents ont une méconnaissance de ce que c'est de devenir footballeur professionnel, du chemin qu'il faut emprunter. J'entends souvent l'expression « redonner ce que le football nous a donné ». Moi, le foot m'a beaucoup donné mais il m'a aussi pris plein de choses, à commencer par mon adolescence : je n'ai pas vu mon frère et ma sœur grandir, je n'étais jamais là pour les fêtes de famille. J'ai fait tous ces sacrifices et ces concessions parce que c'était ce que je désirais le plus, mais ça n'a pas été facile. Les parents ne voient pas ça, ils ont l'impression qu'ils ont entre les mains un billet de loto et oublient l'enfant derrière. C'est ce qui me pousse à raconter ces histoires.
À travers ces deux documentaires, on découvre chez vous une vraie fibre pour faire témoigner vos pairs, les faire se livrer d'une manière parfois troublante. C'est quelque chose que vous vous êtes découvert ou que vous avez toujours eu en vous ?
(Il rit) J'ai ça en moi depuis longtemps, un côté bienveillant. La plupart des gens entendent mais n'écoutent pas. Moi j'aime écouter. Mais je crois que quelque part, c'est le poste auquel j'ai évolué dans le foot qui veut ça. Le milieu défensif travaille pour les autres, c'est un job de l'ombre. On n'est pas là pour briller mais pour faire briller les autres, pour les porter.
Je ne suis pas un singe, d'Olivier Dacourt et Marc Sauvourel
À l'Institut Lumière le jeudi 28 février
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