Le TNP, l'occupation, la reprise et la saison à venir

Théâtre / « Temps inédits ». Jean Bellorini a pesé ces mots le 20 mai dernier pour parfaire ce numéro d’équilibre qui consistait à présenter la saison 2021-22, lancer le résidu de miettes de 2020-21 et évoquer les occupants sur le site du TNP depuis des semaines. Avec tact et conviction, il est parvenu à tout cela. Résumé de situation et détails de ce qui s’annonce.

Il n’y a eu au TNP que neuf levers de rideaux cette saison. Jean Bellorini lui-même, nommé à la direction de ce centre dramatique national le 1er janvier 2020, n’a jamais présenté ses créations au public villeurbannais. Il ne le connait pas, a-t-il dit à plusieurs reprises ces derniers mois, ajoutant lors de la conférence de presse de la saison 2021-22, le jeudi 20 mai, avoir « le regret de ne pas avoir mené quelque chose de plus fou et franc-tireur comme si j’avais été en terrain connu comme à Saint-Denis [au Théâtre Gérard-Philipe-CDN, qu’il a dirigé de 2014 à 2019] ». Comme si le silence était asphyxiant.

« Ça fait un an et demi qu’on nous balade »

Car, avant de présenter sa très dense saison à venir, il est revenu sur la façon dont cette pandémie a touché son secteur, l’incompréhension face à certaines prérogatives : « des enfants allaient à la piscine sous le TNP, ils pouvaient descendre quelques marches alors pourquoi ne pouvaient-ils pas les monter pour voir un spectacle ? » Dont acte, le TNP ira dans les écoles, lycées, universités avec Onéguine.

De même, si le théâtre n’a pas rouvert en fanfare le 19 mai, c’est que les décrets d’application des règles sanitaires (jauge, etc.) sont parus… le jour même ! « Ça fait un an et demi qu’on nous balade » dit-il, défendant d’avoir « une attitude presque bienveillante » envers les personnels du théâtre et les artistes en « prenant le temps le temps d’un tout petit peu de vision ». Le recul a tant manqué à cette période. « Je crains que l’ivresse, la boulimie du moment, amoindrissent la capacité et la bonne tenue de nos maisons » par ailleurs extrêmement bien accompagnées financièrement par l’État et ses partenaires, reconnait-il spontanément, ayant fait le choix « idéologique » de ne pas avoir recours à l’activité partielle. « Comment peut-on être entièrement subventionné une première fois, demander à l’être une deuxième fois en travaillant avec des intermittents qui avaient une année blanche et réclamer à être une troisième fois avec le chômage partiel ? »

Ne cédant pas à la précipitation (quoiqu’il soit le premier à annoncer sa saison, mais elle est prête partout ailleurs et sera annoncée dans les jours qui viennent à la Renaissance, au TNG, au Célestins, à la Croix-Rousse…), il n’a pas non plus sur-blindé les derniers mois de retransmissions vidéo sur le Web, comme certains l’ont fait, pas à Lyon mais dans certains grands théâtres parisiens, histoire de ne pas s’encombrer avec les reports. « Je me suis porté en faux contre cette dynamique commerciale des captations et du streaming ». Les rencontres professionnelles autour d’un spectacle jouées pour quelques-uns ? « Elles étaient pires que de l’entre-soi ». Il le sait d’autant plus qu’il l’a expérimenté, un peu. Le Jeu des ombres a été capté cet été par France Télévision et Onéguine a été donné en milieu restreint. Ce dernier jouera du 3 au 26 juin et celui qui aurait dû être dans la cour d’honneur d’Avignon est programmé en janvier 2022. ll faut selon lui « absolument retrouver le fait d’être assis à côté de quelqu’un de différent de soi, c’est l’essence du théâtre national populaire, pléonasme de la notion de théâtre public ».

Occupation et dialogue

Alors, quoi, les occupants interdiraient la reprise ? Dans une lettre signée, mi-mai, Stéphane Braunschweig (directeur du théâtre de l’Odéon à Paris), Serge Dorny (directeur de l’Opéra de Lyon jusqu’à cet été), Macha Makeïeff (direction de la Criée, CDN de Marseille) et Murielle Mayette-Holtz (directrice du CDN de Nice) s’insurgent contre le « blocage » et demandent aux « occupants, notamment à la CGT qui est à l’origine du mouvement, de faire preuve de responsabilité » (l’Odéon n’a pu donner de représentation de La Ménagerie de verre les 19, 20 et 21 mai et les "occupants" sont finalement accueillis depuis le 23 mai au Cent Quatre, l'Opéra de Lyon annonce qu'il « ne peut pas accueillir son public » pour Le Coq d'or les 23 et 26 mai, les "occupants" quittent les lieux dans la foulée). Jean Bellorini a pris les siennes et espère réussir à montrer qu’il est compatible de reprendre des spectacles et d’accueillir « ceux qui sont en lutte » et qui « travaillent à un monde meilleur car c’est quand même ça leur idée » dit-il. « Un blocage serait odieux mais ici les gens sont respectueux, nous dialoguons et même si les frais engendrés par ceux (8 à 12) qui dorment la nuit ici sont extrêmement lourds et pas tenables à long terme, en tant que directeur d’un théâtre national populaire, comment ne pas tout faire pour rendre compatible tout ça ? ». Le mot d’ordre des occupants n’a jamais été corporatiste – sauf aux premiers jours en mars – mais bien plus global, concernant le retrait du projet de loi sur la réforme de l’assurance chômage qui verra selon une enquête de l’UNEDIC publiée le 7 avril, baisser de 17% l’allocation de près d’1, 15 million de demandeurs d’emploi au 1er juillet.

De son côté, l'autre directeur de CDN de nos contrées, Joris Mathieu du Théâtre Nouvelle Génération, s'est fendu d'une longue lettre accompagnant son renouvellement de mandat à la tête du théâtre pour affirmer que « nous devons écouter ce que ces voix expriment (...) Nous aurions tort de considérer les occupations des lieux culturels comme des épiphénomènes ».

Une saison 21-22 un peu « folle »

Dans un souci permanent des œuvres, des artistes et donc du public, Jean Bellorini n’étendra pas sa saison en juillet car « c’est presque méprisant de programmer un artiste entre le 5 et 15 juillet, c’est le temps des festivals, du plein air… ». Alors le 3 juin il reprend Onéguine, cette fable douce et acide de Pouchkine murmurée au casque en bi-frontal, avant d’attaquer une saison « folle » avec presque deux fois plus de levers de rideaux (277 prévus) et deux fois plus de spectateurs attendus (115 000 contre 80 000) « si on joue à 100% de la jauge mais rien n’est moins sûr ».

Le centenaire (devenu 101 ans) sera le coup d’envoi durant tout le mois de septembre avec de passionnants rendez-vous théâtraux et cinématographiques autour de Roger Planchon, Firmin Gémier, Jean Vilar, Georges Wilson, Patrice Chéreau, Georges Lavaudant. Christian Schiaretti a refusé de venir. Et la grande fresque de Joël Pommerat, Ça ira, passionnante mais reléguant le peuple frondeur des rues dans les coulisses sera au cœur de cet anniversaire, qui aura aussi avec la troupe éphémère une raison de regarder cent ans devant.

De grandes figures du théâtre français et international sont programmées, essentiellement jusqu’à décembre (Jean-François Sivadier, Alain Françon tout juste rescapé d’une attaque à l’arme blanche, Emma Dante et Christiane Jatahy, Brésilienne qui a fait les beaux jours de la Comédie Française mais n’était jamais venue par ici, ce sera chose faite avec Entre chien et loup adapté du film très théâtral de Lars von Trier, Dogville) ; les artistes associés prendront le relais dont La République des hommes de Tiphaine Raffier.

Et la saison sera empreinte du titre de Capitale française de la culture que Villeurbanne a remporté et placé sous l’égide de la jeunesse. Ainsi Jean Bellorini va travailler, dans Archipel, des textes d’Italo Calvino avec le chorégraphe Nicolas Musin pour explorer les territoires urbains non aménagés avec des rideurs (BMX, skateurs..) et danseurs hip-hop. S’il ne signe pas de création cette année, il reprend son somptueux et loufoque Jeu des ombres puis crée un Tartufo à Naples, qu’il présentera fin juin, qu’il veut à l’intersection entre la farce et la lecture très clinique faite de ce qui sera sa première incursion chez Molière.

Un autre Tartuffe, mis en scène par Macha Makeieff lui fera écho. Le TNP est à la recherche de la captation de ce qu’en a fait Roger Planchon pour compléter le podium. Et c’est Ariane Mnouchkine et son Île d’Or qui refermeront cette saison ouverte plus que jamais (enfin !) aux autres lieux. Le TNP va collaborer avec enthousiasme avec le festival Sens interdits, la BIME ; le prix Celest’1 changera de nom pour devenir avec eux un concours de la création régionale et le festival En Actes, associé aux Journées lyonnaises des Auteurs de Théâtre, deviendra un temps fort nommé Les Contemporaines. Les ateliers de fabrication de décor sont eux redynamisés au point d’accueillir au Pôle Pixel le Pinocchio d’Alice Laloy dans lequel quinze enfants se transforment en pantins. Trois autres spectacles dédiés au jeune public accompagnent celui-ci dans les prochains mois.


Programmation de la saison 2021-22

Septembre

Centenaire du TNP. Débats, rencontres et spectacles (Ça ira (1)Fin de Louis, ms Joël Pommerat et Les Trois Mousquetaires, ms Clara Herdouin et Jade Herbulot et Fahrenheit 451, ms Mathieu Coblentz)

Octobre

Harvey, ms Laurent Pelly

Moi et Rien (dès 6 ans), ms Fabrizio Montecchi

Festival Sens interdits

Novembre

Archipel, chor Nicolas Musin

Misericordia, ms Emma Dante

Entre chien et loup, ms Christiane Jatahy

Décembre

Sentinelles, ms Jean-François Sivadier

La Seconde surprise de l’amour, ms Alain Françon

Janvier

Et le cœur fume encore, ms Margaux Eskenazi et Alice Carré

Le Jeu des ombres, ms Jean Bellorini

Carte blanche à André Markowicz

Salade, tomate, oignon ms Jean-Christophe Folly

Février

La Réponse des hommes, ms Tiphaine Raffier

Mars

Tarfuffe-Théorème, ms Macha Makeïeff

Les Irresponsables, ms Aurélia Guillet

Tambours de soie, un Nô moderne, ms Kaori Ita et Yoshi Oïda

Nous serons toujours là, ms Ryoko Sekiguchi

Dissection d’une chute de neige, ms Christophe Rauck

Avril

L’affaire Correra, ms François Hien

7 sœurs de Turakie (dès 8 ans), ms Michel Laubu et Emilie Hufnagel

Pinocchio(live)#2 (dès 8 ans), ms Alice Laloy

Mai

C’est tout., ms Thierry Thieû Niang et Marie Vialle

Festival Les Contemporaines

Corde.raide, ms Caroline Boisson et Vanessa Amaral

Il Tartufo, ms Jean Bellorini

Bijou bijou, te réveille pas surtout (dès 9 ans), ms Sylviane Fortuny

Juin

L’Île d’or, ms Ariane Mnouchkine

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