Absent des écrans depuis presque une décennie, Élie Chouraqui revient avec un film inégal dans la forme mais prodigieusement intéressant sur le fond. Pas vraiment étonnant car il pose, justement, des questions de fond.
Comme beaucoup de cinéastes, d'artistes ou tout simplement d'êtres, Élie Chouraqui est double. Parfois, il s'engage dans une veine sentimentale, dans le film-chorale “superficiel et léger” façon Marmottes ; parfois il montre sa face la plus tourmentée dans des œuvres graves, profondes — indiscutablement les plus réussies. Man on Fire (1989) ou Harrison's Flowers (2000) constituent ainsi des repères précieux dans sa filmographie ; L'Origine de la violence pourrait les rejoindre — et ce en dépit d'une facture parfois un peu bancale, qu'un budget étriqué peut justifier.
Bien qu'il s'agisse ici d'une adaptation d'un roman de Fabrice Humbert, l'œuvre en résultant s'avère éminemment personnelle ; une sorte de synthèse où il opère une réconciliation entre ses thèmes de prédilection : la famille, la mémoire et la guerre — pas n'importe laquelle, la Seconde Guerre mondiale. Partant questionner les silences intimes, les non-dits et les interdits, il traite du rapport au temps et à l'oubli, au pardon nécessaire et à la mémoire obligatoire. Jamais il n'excuse, son propos est net, mais il fait la démarche d'expliquer pour comprendre des personnages qu'il a l'audace de brosser dans les teintes de gris, au lieu d'adopter l'habituelle palette manichéenne.
Pour mémoire
Surtout, Chouraqui prend une position artistique courageuse en donnant une représentation de la (sur)vie des condamnés dans les camps d'extermination, et des à-côtés de ces antichambres de la mort. Ce faisant, il encourt le risque de subir les foudres des censeurs soutenant les ukases moraux édictés par Claude Lanzmann depuis qu'il considère avoir accompli avec son documentaire Shoah une mise en images définitive de l'Holocauste — une opinion que ce dernier a étrangement adoucie l'an dernier, adoubant Le Fils de Saul de László Nemes. Or montrer cette horreur n'est pas la “trivialiser” ; en revanche, s'abstenir de lui donner une représentation digne (donc dénuée d'obscénité) revient à la sacraliser telle une exception, et donc à alimenter la bouche vorace des révisionnistes et des négationnistes.
Plus le temps galope, plus il semble indispensable d'oser affronter ce passé, désespérément soluble dans le présent. L'histoire de L'Origine de la violence raconte les ravages de la dissimulation, ce qu'elle engendre comme dégâts sur plusieurs générations ; le film lui fait écho en refusant les règles d'un mutisme imposé. Il est une manière militante, et vivante, de faire œuvre de mémoire.
L'Origine de la violence de Élie Chouraqui (Fr, 1h50) avec Stanley Weber, César Chouraqui, Richard Berry, Michel Bouquet... (sortie le 25/05)