Yann Nicol : « se contenter d'attendre le retour à la normale n'est pas raisonnable »

Fête du Livre de Bron / Passé entre les gouttes l'an dernier en se tenant un mois plus tôt que d'habitude, la Fête du Livre de Bron a attendu 2021 pour être rattrapée, comme tout le monde, par le Covid. Et à dû renoncer à se tenir autrement que virtuellement. L'occasion pour le festival brondillant de se repenser pour le présent et pour l'avenir et d'être au final plus... présent. Son directeur Yann Nicol nous explique comment.

Le 2 février, la Fête du Livre a annoncé qu'elle se tiendrait en numérique. Une annonce qui a mis par terre plusieurs mois de préparation d'une édition qui se voulait adaptée à la situation sanitaire.
Yann Nicol : Nous avons poussé jusqu'au bout pour essayer de tenir les choses mais au bout d'un moment la persévérance devient de l'entêtement. On a essayé de se mettre en situation de pouvoir répondre, d'être prêt avec une formule "en présentiel", comme on dit, plus adaptable. On avait notamment décidé de ne pas organiser le festival à l'hippodrome de Parilly parce que c'était un lieu très vulnérable à la fermeture, qui nous coûte cher, comme les locations de chapiteaux. Je ne voulais pas mettre de l'argent dans un lieu qui aurait trois chances sur quatre d'être fermé, ça me semblait complêtement déraisonnable. Et ouvrir l'hippodrome avec une jauge de 500 personnes, ça promettait d'être absolument sinistre. Mieux valait repenser totalement la formule, au moins il n'y aurait pas eu d'effet de comparaison.

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Où devait donc se dérouler cette édition ?
L'idée c'était de faire la programmation adulte à l'Espace Albert Camus et la programmation jeune à la médiathèque Jean Prévost. Ça nous permettait d'être dans une formule totalement nouvelle pour tout le monde dans des lieux qui sont déjà équipés. Là on pouvait attendre jusqu'au dernier moment, allumer la lumière et s'installer. On a fabriqué une programmation et quand ça s'est durci en novembre-décembre, on s'est dit : on va attendre janvier-février, et on sera prêt pour y aller. Mais avec le couvre-feu à 18h, le moment où on nous annonçait le confinement comme imminent, on a tout changé. Parce que même dans le cas où on aurait pu ouvrir, on aurait eu tellement de contraintes qu'on n'allait pas pouvoir faire un événement qualitatif. Le but n'était pas de faire une édition complètement trouée.

Vous n'avez pas songé à un report ?
Je n'étais pas pour. Les incertitudes sont tellement grandes que reporter c'est se mettre dans la situation de rejouer l'échec une seconde fois. Et il y a déjà un embouteillage impossible au mois de juin, par exemple. Se retrouver le même week-end que Livre Paris, Étonnants Voyageurs à Saint-Malo et le festival d'Angoulème c'est impossible. J'avais aussi envie d'être présent sur nos dates. On est donc parti sur un festival en ligne avec le principe de dire qu'au fil de l'année 2021 en fonction des contextes, de l'année éditoriale, on va pouvoir compléter cette offre... On a envie d'être davantage un producteur de contenus et on n'a pas toujours eu la latitude pour le faire. On s'est dit que dans une année comme celle-ci, il était bon d'apporter quelques transformations à notre outil, à notre vision des choses pour avoir un peu plus de pérennité au delà du festival, avec une programmation de saison ou sur un média du festival — avec un nouveau site Internet — qui nous permette d'être présent de manière plus durable. Cette énergie nous permet de partir avec l'idée que ce qu'on fait n'est pas juste un palliatif et de repenser les rapports au public et au contenu. C'est une année charnière pour peut-être modifier de manière plus durable des choses qui nous intéressent depuis un moment.

Comment avez-vous concrètement dessiné cette formule ? La durée du festival notamment est rallongée...
D'une part, on avait une programmation qui était ficelée. Avec une quarantaine d'auteurs contre 70 à 80 habituellement. On va travailler avec des auteurs qu'on avait invités, mais on va changer le mode de fonctionnement. On voulait que cette édition ne soit pas qu'une transposition filmée de ce qu'on propose habituellement. Entre le 10 et le 28 mars, le festival se tiendra sur trois week-ends au lieu d'un, du mercredi au dimanche à chaque fois, avec des rubriques récurrentes. L'autre dimension qu'on veut mettre en place avec humilité, c'est de proposer des événements live, des temps de rencontres virtuels. Mais aussi des contenus audiovisuels, des mini docs, des ateliers interactifs, des choses de nature différente susceptibles de prendre en compte l'outil numérique et audiovisuel. Le principe est de dire qu'avec ce festival de trois semaines, on va poser les bases de modes de fonctionnement notamment autour des produits audiovisuels, que l'on pourra poursuivre tout au long de l'année.

Quelques mots sur ce rubriquage, justement...
Il y a un mélange de formats qu'on avait l'habitude de présenter — comme le grand entretien avec un écrivain français, ou des dialogues d'auteurs. Il y aura du podcast, du live et du "tourné-monté" du type "dans l'atelier de...", à la rencontre d'auteurs, des cartes blanches à des écrivains. Une manière d'amener du fond avec les outils d'aujourd'hui et pas simplement de travailler sur de la rencontre filmée. La Fête du Livre proposera un menu, toujours le même, pour chaque week-end : un grand entretien le mercredi soir ; un coup de fil à un écrivain étranger le jeudi baptisé "Vu d'ailleurs" qui témoignera du temps présent depuis l'endroit où il est ; pour le vendredi on est en train de monter un temps de parole sur les livres et l'actualité éditoriale avec les journalistes critiques qui travaillent avec nous ; le samedi matin, ce sera, "Les Mots de la crise", où il s'agira de faire réagir un intellectuel sur les mots issus du lexique du temps présent ; le samedi en fin de journée, "Comment ça s'écrit", une discussion avec un auteur, entièrement consacrée à la construction d'un livre ; le dimanche matin, un podcast "Regards croisés", un dialogue d'auteurs comme on a l'habitude de le faire ; le dimanche soir une carte blanche à un auteur autour d'un temps de lecture ou de performance....

Concernant le programme jeunesse ?
Ce qui nous guide en la matière, c'est de mettre en place des formats adaptés aux jeunes lecteurs. On va essayer d'adapter ce qu'on fait d'habitude, c'est-à-dire des choses assez interactives, des ateliers. Faire dialoguer des auteurs, ça ne va pas intéresser un enfant de huit ans. Il faut des choses comme "l'atelier du mercredi" où un auteur-illustrateur va proposer une sorte de tutoriel pour les enfants, avec la possibilité d'aller tourner chez les auteurs.

On s'est aussi beaucoup posé la question des spectacles, de reproposer des lectures musicales qui ont déjà tourné ailleurs et sont disponibles sur le net mais ça n'a aucun intérêt dans ce cadre là.

On a donc travaillé à la création d'un spectacle qui s'appelle Loup d'or, autour d'auteurs-illustrateurs-artistes qui l'ont mis en scène — qui sera capté et retransmis en live. On a préféré ce spectacle, qui n'a jamais été joué nulle part et qu'on a produit avec ces artistes.

Enfin, On va aussi travailler en partenariat avec la médiathèque pour des pastilles vidéos sur les grands classiques de la littérature jeunesse. On essaie de trouver les formes les plus adéquates pour mettre en avant cette littérature et s'adresser au jeune public.

Un mot sur le thème de cette année, "L'invincible été", tiré d'une célèbre citation de Camus : "au milieu de l'hiver, j'ai découvert en moi, un invincible été" ?
Je l'ai choisi quand je pensais qu'on allait s'installer à l'Espace Albert Camus. Cette petite phrase me semblait dire beaucoup de choses de notre monde et de la manière dont la littérature, les idées, les sciences humaines, l'imaginaire constituent cet été invincible. Une manière de dire aussi qu'on est là malgré tout, qu'on tient.

A long terme, le festival lui-même, en tant qu'événement, en ressortira-t-il changé ?
On reste très attaché au festival tel qu'il était, on se doit de ne pas le fragiliser et de préserver son caractère évenementiel et humain. L'idée à terme c'est d'avoir un festival, une saison et un média. C'est comme ça qu'on a envie d'envisager les choses, dans l'optique de développer une dynamique autour de l'événement qui passe par de la pérennité dans l'année et par un nouveau média. Il y a une vraie nécessité à se repositionner. Nous sommes dans un tel temps d'incertitude et de durcissement qu'on se dit qu'il n'est plus raisonnable de mettre tous ses œufs dans le même panier. L'an dernier on a eu une chance monumentale en passant entre les gilets jaunes, les grèves et le Covid, mais on voit bien que prévoir un événement pour dans un an et attendre que tout soit réuni pour que ça marche, c'est une vraie folie. Il faut arriver à trouver cet équilibre autrement et ces nouvelles dimensions sont nécessaires. C'est peut-être une bonne chose de se dire que cette année n'est pas qu'une parenthèse terrible pendant laquelle on va serrer les dents en attendant que ça passe. Il faut en retirer qu'on est peut-être dans une mutation des fonctionnements et des comportements qui est à anticiper. Se contenter d'attendre simplement le retour à la normale ne me semble pas raisonnable.

Fête du Livre de Bron
Sur www.fetedulivredebron.com ​du mercredi 10 au dimanche 28 mars

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