May December, deux surfaces artificielles qui se confondent

Comédie noire / Une comédienne ambitieuse revient sur les lieux d’un fait-divers pour s’inspirer de son modèle, une quadragénaire ayant épousé son amant de treize ans. Un film féroce où Todd Haynes tend avec malice un miroir aux hypocrisies du jour. Sortie le 24 janvier

La scène fondatrice de May December se déroule au fond d’une animalerie. C’est là où une employée quadragénaire a consommé sa liaison adultère avec un jeune garçon de treize ans. Après le procès et la prison, le couple a tenu, s’est marié et a eu trois enfants. 23 ans plus tard (en 2015, avant Trump), une comédienne, Elizabeth (Natalie Portman), débarque dans leur petite maison de Savannah pour étudier Gracie (Julianne Moore) qu’elle va incarner dans un film indépendant.

Après une de ses nombreuses journées de recherche, elle rentre dans son logement et laisse tourner le DVD d’un téléfilm à l’esthétique outrageusement 90’s. Cette histoire et cette scène de l’animalerie ont donc déjà été filmées, dans une sorte de thriller érotique sulfureux qui les réduit à leur cliché : la proie facile, la prédatrice langoureuse et un serpent pour la métaphore. 

Imiter les faux-semblants

Elizabeth veut aller au-delà de cette facilité : elle ne jure que par la vérité et la profondeur. Dans une des nombreuses scènes où l’actrice et son modèle se retrouvent face caméra, l’une tentant d’imiter l’autre, ce sont pourtant deux surfaces artificielles qui se confondent.

Avec un mordant qu’on ne lui soupçonnait pas, Todd Haynes entremêle ainsi plusieurs types de faux-semblants : celui du jeu et celui des apparences sociales. Si la famille Atherton-Yoo a l’air d’avoir trouvé son équilibre, il ne faut pas grand chose pour en montrer les failles : l’obsession de Grace pour le corps de ses filles et la mélancolie de Joe (Charles Melton) traînant à la maison en envoyant des textos à une potentielle maîtresse…

Nimbées d’un étrange halo diffusant une lumière faussement naturelle et régulièrement tenues à distance par la caméra de ses sujets, les images, comme souvent chez Haynes, servent à voiler une vérité que le spectateur prend plaisir à ne pas déchiffrer. Il installe ainsi des situations où toutes les hypocrisies contemporaines se télescopent et où, géniale intuition, on finit toujours par faire corps avec le cliché que l’on entendait dénoncer.

May December
De Todd Haynes (EU, 1h57) avec Julianne Moore, Nathalie Portman, Charles Melton…
Sortie le 24 janvier

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 18 février 2020 Quand des lanceurs d’alertes et la Loi peuvent faire plier une multinationale coupable d’avoir sciemment empoisonné le monde entier… Todd Haynes raconte une histoire vraie qui, étrangement, revêt une apparence patinée dans l’Amérique de Trump.
Lundi 18 mai 2015 "Carol" de Todd Haynes. "Mon roi" de Maïwenn. "Plus fort que les bombes" de Joachim Trier. "Green Room" de Jeremy Saulnier.
Mardi 20 mai 2014 David Cronenberg signe une farce noire et drôle sur les turpitudes incestueuses d’Hollywood et la décadence d’un Los Angeles rutilant et obscène. Un choc ! Christophe Chabert
Samedi 2 novembre 2013 Écrit n’importe comment et sans aucune ligne artistique, ce nouveau Thor est sans doute ce que les studios Marvel ont fait de pire. Mais est-ce vraiment du cinéma, ou seulement de la télévision sur grand écran ? Christophe Chabert
Vendredi 9 septembre 2011 Les deux réalisateurs d’I love you Philip Morris s’essayent à la comédie romantique chorale mais ne confectionnent qu’une mécanique théâtrale boulevardière et ennuyeuse, dont seul s’extirpe le couple formé (trop tardivement) par Ryan Gossling et...
Mercredi 20 avril 2011 De Kenneth Branagh (ÉU, 1h54) avec Chris Hemsworth, Natalie Portman…
Mardi 1 février 2011 Une jeune danseuse introvertie cherche à se dépasser pour incarner le double rôle d’une nouvelle version du "Lac des cygnes". Sans jamais sortir d’un strict réalisme, Darren Aronofsky fait surgir le fantastique et le trouble sexuel dans un film...
Vendredi 29 janvier 2010 De Jim Sheridan (ÉU, 1h45) avec Tobey Maguire, Natalie Portman, Jake Gyllenhaal…
Mardi 30 septembre 2008 Une épidémie de cécité conduit à des mesures sanitaires radicales : une fable au futur récent signée Fernando Meirelles, soutenue par une mise en scène expérimentale et terrifiante. Christophe Chabert
Mercredi 5 décembre 2007 I'm not there : le titre d'une chanson de Dylan, mais aussi le premier rébus d'un film à clé particulièrement bien verrouillé... I'm not her, I'm not he, I'm (...)

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X