Carnets de campagne : "El Reino"
Policier par Vincent Raymond le Mardi 9 avril 2019 | De Rodrigo Sorogoyen (Esp-Fr, 2h11) avec Antonio de la Torre, Monica Lopez, Nacho Fresneda… (...)
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Chaque semaine, en un coup d'oeil, tous les programmes. un outil pratique et complet pour constituer sa semaine de sorties à Lyon
Alors que l’écran est encore noir, des rires d’enfants emplissent la bande-son. Quand l’image apparaît, on découvre les bambins exultant devant un spectacle de clowns. Si les enfants rient, le spectateur, lui, ne se laisse pas emporter : les objectifs déformants choisis par Alex de la Iglesia, son montage abrupt et l’absence de décor donnent à la scène des allures de pantomime lugubre, comme la énième répétition d’un numéro usé jusqu’à la corde. C’est que ce spectacle-là n’en est pas un. C’est un divertissement, une distraction ; au-dehors la guerre fait rage. Les armées républicaines se battent contre celles du général Franco, et lorsqu’elles débarquent sous le chapiteau, c’est pour enrôler les deux clowns dans leur combat. Le clown blanc rechigne, l’Auguste s’engage, laissant derrière lui son fils Javier, seul avec un lion qui paraît bien moins inquiétant que ces soldats armés jusqu’aux dents.
Ce prologue (comme l’énigmatique générique qui le suit, où des images de la dictature franquiste voisinent avec celles d’artistes populaires) est trompeur : Alex de la Iglesia n’utilise pas le cirque comme une métaphore de l’Histoire espagnole pendant sa période la plus sombre. Les deux événements (la guerre et l’atavisme familiale qui conduira Javier à reprendre le flambeau de son père) coexistent dans le récit, et finissent par interagir. La séquence suivante le dit clairement : armé d’une machette, le père encore grimé participe au massacre avec une sauvagerie inouïe. Vision infernale que la mise en scène baroque, excessive, énorme de de la Iglesia contribue à rendre inoubliable, pour nos yeux comme pour ceux du fiston. L’énergie de Balada triste ("de trompeta", selon le titre original) est rageuse, son principe est celui du spectacle furieux contre le divertissement codifié, aseptisé et propagandiste. Une visite au musée des horreurs, la romance sirupeuse entendue dans un mélodrame d’époque, une chasse menée par le dictateur vieillissant ou la construction d’une Basilique grandiose sont autant de leurres cachant des réalités inavouables, simples effets de diversion pour ne pas regarder les choses en face. Le cinéaste choisit donc, pour répondre à ces simulacres, la frontalité extrême pour raconter le cœur de son intrigue : la rivalité qui se développe entre Javier, timide et maladroit, et Sergio, son patron brutal et autoritaire, autour de Natalia, affolante acrobate à la plastique fellinienne. Faisant fi des injures féministes qui ne manqueront pas de tomber à son propos, de la Iglesia fait de Natalia une fille dépendante d’un homme qui la maltraite, lui pardonnant par amour ses excès, ce que Javier ne comprend pas. Sa plongée dans la folie est le résultat de ce malentendu : il a transformé son rival en monstre, il le deviendra à son tour, espérant obtenir les faveurs de la belle. Son désir l’aveugle au point de traverser tous les événements majeurs de son pays sans vraiment les comprendre, élément incontrôlable d’un régime qui aimerait au contraire tout contrôler.
Il n’est pas interdit, face à Balada triste, de penser aux Bienveillantes, l’extraordinaire roman de Jonathan Littell : même choc entre la trajectoire intime d’un héros ambivalent et la chronique méticuleuse des événements historiques, même envie de raconter une période en adoptant un point de vue subjectif et fictionnel. Une scène invite particulièrement à la comparaison, la main de Franco remplaçant le nez d’Hitler, mais la fiction prenant dans les deux cas ses aises avec la réalité. C’est dire aussi l’ambition de de la Iglesia : emprunter les armes du cinéma de genre (les références sont nombreuses dans le film, en premier lieu aux classiques comme Frankenstein et King Kong) pour investir un patrimoine national jusqu’ici réservé à la reconstitution académique. Par son jusqu’auboutisme forcené (le climax final est la réponse du cinéaste au Peter Jackson du Seigneur des anneaux, avec lequel il dialoguait déjà dans son précédent Crimes à Oxford), Balada triste s’impose comme le film le plus cohérent de son auteur, son plus personnel aussi. Là où tout pouvait le pousser à écrire une farce noire, il choisit au contraire de faire une tragédie désespérée, ce que la boucle du récit vient souligner. Aux rires des enfants en ouverture répondent ainsi les larmes de deux hommes mûrs, soudain conscients du chaos dans lequel ils ont plongé leur vie.
Alors que l’écran est encore noir, des rires d’enfants emplissent la bande-son. Quand l’image apparaît, on découvre les bambins exultant devant un spectacle de clowns. Si les enfants rient, le spectateur, lui, ne se laisse pas emporter : les objectifs déformants choisis par Alex de la Iglesia, son montage abrupt et l’absence de décor donnent à la scène des allures de pantomime lugubre, comme la énième répétition d’un numéro usé jusqu’à la corde. C’est que ce spectacle-là n’en est pas un. C’est un divertissement, une distraction ; au-dehors la guerre fait rage. Les armées républicaines se battent contre celles du général Franco, et lorsqu’elles débarquent sous le chapiteau, c’est pour enrôler les deux clowns dans leur combat. Le clown blanc rechigne, l’Auguste s’engage, laissant derrière lui son fils Javier, seul avec un lion qui paraît bien moins inquiétant que ces soldats armés jusqu’aux dents.
Ce prologue (comme l’énigmatique générique qui le suit, où des images de la dictature franquiste voisinent avec celles d’artistes populaires) est trompeur : Alex de la Iglesia n’utilise pas le cirque comme une métaphore de l’Histoire espagnole pendant sa période la plus sombre. Les deux événements (la guerre et l’atavisme familiale qui conduira Javier à reprendre le flambeau de son père) coexistent dans le récit, et finissent par interagir. La séquence suivante le dit clairement : armé d’une machette, le père encore grimé participe au massacre avec une sauvagerie inouïe. Vision infernale que la mise en scène baroque, excessive, énorme de de la Iglesia contribue à rendre inoubliable, pour nos yeux comme pour ceux du fiston. L’énergie de Balada triste ("de trompeta", selon le titre original) est rageuse, son principe est celui du spectacle furieux contre le divertissement codifié, aseptisé et propagandiste. Une visite au musée des horreurs, la romance sirupeuse entendue dans un mélodrame d’époque, une chasse menée par le dictateur vieillissant ou la construction d’une Basilique grandiose sont autant de leurres cachant des réalités inavouables, simples effets de diversion pour ne pas regarder les choses en face. Le cinéaste choisit donc, pour répondre à ces simulacres, la frontalité extrême pour raconter le cœur de son intrigue : la rivalité qui se développe entre Javier, timide et maladroit, et Sergio, son patron brutal et autoritaire, autour de Natalia, affolante acrobate à la plastique fellinienne. Faisant fi des injures féministes qui ne manqueront pas de tomber à son propos, de la Iglesia fait de Natalia une fille dépendante d’un homme qui la maltraite, lui pardonnant par amour ses excès, ce que Javier ne comprend pas. Sa plongée dans la folie est le résultat de ce malentendu : il a transformé son rival en monstre, il le deviendra à son tour, espérant obtenir les faveurs de la belle. Son désir l’aveugle au point de traverser tous les événements majeurs de son pays sans vraiment les comprendre, élément incontrôlable d’un régime qui aimerait au contraire tout contrôler.
Il n’est pas interdit, face à Balada triste, de penser aux Bienveillantes, l’extraordinaire roman de Jonathan Littell : même choc entre la trajectoire intime d’un héros ambivalent et la chronique méticuleuse des événements historiques, même envie de raconter une période en adoptant un point de vue subjectif et fictionnel. Une scène invite particulièrement à la comparaison, la main de Franco remplaçant le nez d’Hitler, mais la fiction prenant dans les deux cas ses aises avec la réalité. C’est dire aussi l’ambition de de la Iglesia : emprunter les armes du cinéma de genre (les références sont nombreuses dans le film, en premier lieu aux classiques comme Frankenstein et King Kong) pour investir un patrimoine national jusqu’ici réservé à la reconstitution académique. Par son jusqu’auboutisme forcené (le climax final est la réponse du cinéaste au Peter Jackson du Seigneur des anneaux, avec lequel il dialoguait déjà dans son précédent Crimes à Oxford), Balada triste s’impose comme le film le plus cohérent de son auteur, son plus personnel aussi. Là où tout pouvait le pousser à écrire une farce noire, il choisit au contraire de faire une tragédie désespérée, ce que la boucle du récit vient souligner. Aux rires des enfants en ouverture répondent ainsi les larmes de deux hommes mûrs, soudain conscients du chaos dans lequel ils ont plongé leur vie.
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