La Patte du Jaguarr

Musique / Le premier album solo de JoeyStarr est une déflagration dans l'univers du rap français, autoportrait au passé, présent et futur d'une force considérable. Prolongation live au Transbordeur, le 1er novembre. Christophe Chabert

Il en aura fallu du temps à JoeyStarr pour lancer sa carrière solo... Tellement que son ex-compère (et désormais ennemi) au sein de NTM, Kool Shen, a eu le temps de mettre un point final à la sienne. À l'écoute de Gare au Jaguarr, on comprend que cette longue attente a eu pour vertu de laisser infuser un propos et un son d'une urgence jouissive. JoeyStarr aurait mûri et cela s'en ressentirait, nous dit-on... Erreur ! Le premier morceau, le massif J'arrive le montre prêt au combat tel un pitbull enragé ; l'esprit de fronde qui l'animait à l'époque de NTM semble plus présent que jamais, parfaitement intact. Mais qu'on se le dise, ce n'est pas JoeyStarr qui est soudain synchrone avec son époque, ses angoisses, ses colères et ses élans, c'est l'époque qui se retrouve au diapason d'un JoeyStarr qui n'a eu qu'à rester lui-même.Autoportrait sans sommationGare au Jaguarr se décline ainsi sur trois plans qui dessinent autant un portrait du rappeur qu'un spectre de questions posées à son pays : l'enfance meurtrie et l'absence du père, celui qui lui a transmis sa «gueule de métèque» et le «goût amer» de la violence ; la posture face à l'imposture d'un rap français à qui il renvoie un chien de sa chienne ; et la récente prise de conscience politique qui le voit aujourd'hui accomplir son devoir de mémoire aux côtés d'un Olivier Besancenot loin de sa LCR dogmatique (et invité surprise de l'album). Mais ces trois volets s'interpénètrent sans arrêt : il n'y a qu'à comparer le texte de Pose ton gun II à celui écrit à l'époque pour NTM afin de voir que le discours a bougé à tous les niveaux. Là où hier JoeyStarr donnait derrière un rap agressif une presque gentillette leçon de non-violence, aujourd'hui, les raisons de déposer les armes sont tout autre : les flics tireront les premiers face à ceux qui les menacent (ou pas). Cela, JoeyStarr le chante avec ce flow et cette empreinte vocale uniques, relayés par une production massive où les basses sont lourdes comme du dub et les breaks ressemblent à autant de sommations à l'auditeur (marche avec moi ou crève...). Et on ne parle pas de l'écriture brillante, mordante, parfois même hilarante, faisant de JoeyStarr un auteur majeur de la musique française. Impossible d'ailleurs de ne pas souligner les deux références affichées de l'album, Moustaki et Brassens. Délit de faciès envers un rap frappé d'infamie, délaissé au profit d'une chanson noble dont JoeyStarr se ferait le fidèle filleul ? Pas si simple, car Gare au Jaguarr est un disque qui sent le souffre et la poudre, finalement irrécupérable car son auteur y conserve cette attitude de «bad guy» qui est, qu'on le veuille ou non, le dernier espace de subversion dans la culture française. On en remet une couche : ce n'est pas JoeyStarr qui s'invite dans le débat, c'est clairement le débat qui est ramené à coups de pompes dans le train sur le territoire de JoeyStarr !JoeyStarrAu Transbordeur, le 1er novembre«Gare au Jaguarr» (Epic/Sony-BMG)

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