We are four lions

Cinéaste au courage rare et indispensable, Chris Morris a compris qu’on pouvait rire de tout, à condition de ne pas le faire n’importe comment. Et il le prouve superbement avec "We are four lions", une comédie “djihadiste“ douce amère. L’un de nos coups de cœur de l’année. François Cau

La scène se passe dans un petit cinéma londonien, en août dernier. Trop heureux de voir encore programmé le premier long-métrage de Chris Morris, comique télévisuel pince-sans-rire dont certains shows feraient passer Groland pour une officine du Figaro, on se rue à la première séance. Une fois à l’intérieur de la salle comble, le doute, pour ne pas dire la flippe : on sait que le film a fait polémique, et le public autour compte un bon nombre de femmes voilées – en gros, on se sent un peu comme John McClane au début d’Une journée en enfer, quand le bad guy du film l’oblige à se balader dans Harlem en arborant une pancarte “I hate niggers“. On se recroqueville dans son siège, on se dit qu’il va surtout falloir éviter de rire. La première séquence (le tournage foireux de vidéos djihadistes) provoque l’hilarité de toute la salle en quelques secondes, et la suite du film nous démontrera à quel point on a été crétin de redouter quoi que ce soit. We are four lions est une attaque frontale de la dictature du politiquement correct, qui parvient à nous foutre la honte de ce genre de réflexes pétochards - en nous montrant justement à quel point ils nous éloignent d’un quelconque effort de compréhension.

Une attaque revendiquée

Sous couvert de ressorts comiques souvent énormes, Chris Morris entreprend une véritable entreprise de démystification de lieux communs sur l’Islam, ses différentes formes d’extrémisme, et son incompréhension totale par les autorités. Le tout avec un culot qui s’exprime avec la saine assurance de celui qui a planché pendant trois ans sur la question pour préparer son film – Morris a rencontré des modérés, des érudits, des extrémistes assumés, des responsables des services secrets, et même des proches des auteurs des attentats londoniens de juillet 2005, une source d’inspiration majeure (et fortement controversée, l’essentiel de la polémique vient de là) de We are four lions. Les héros du film sont ainsi des paumés idéologiques, plutôt intégrés dans la société, sous la coupe de la lutte d’influence entre Barry (Nigel Lindsay, acteur stupéfiant jusqu’ici sous-employé), un converti fanatique, radical fou furieux à la mauvaise foi calamiteuse et Omar (Riz Ahmed, un futur grand), le membre a priori le plus stable et posé de ce groupe «qui ne sait pas se préparer une tasse de thé sans faire exploser une fenêtre». Du camp d’entraînement catastrophique au Pakistan aux premiers tests d’explosifs, en passant par d’interminables débats sur la cible de leurs futurs attentats-suicides, Chris Morris suit chaque étape caméra à l’épaule, faisant la jonction entre les scènes par de furtifs plans empruntés à des caméras de vidéosurveillance qui ne capteront jamais la réelle menace.

«Mujahideen, brothers»

Deux scènes-clés distinguent We are four lions de la simple comédie rentre-dedans que ses détracteurs fustigent. Dans un premier temps, une conférence sur l’Islam où s’épanche toute la rhétorique bancale de Barry (un personnage que Chris Morris décrit comme un ancien membre du BNP – le FN anglais, pour résumer – qui se serait accidentellement converti après avoir lu le Coran), et qui se conclura par le “recrutement“ d’un jeune candide venu faire un happening bêtement provocateur ; mais surtout, une séquence où Omar et son épouse se confrontent sur le sens et les implications du mot “djihad“ avec le frère de l’aspirant terroriste, un fondamentaliste qui refuse de se retrouver dans la même pièce qu’une femme. L’écriture rigoureuse et alerte des deux séquences parvient à désamorcer leur malaise pourtant patent, pour se jouer avec une habileté sidérante des idées préconçues. Cet équilibre, le film le tiendra jusqu’à son climax final, à haute teneur dramatique, où surgira le vrai propos de We are four lions. Pendant tout le film, Chris Morris n’a pas traité la plupart de ses personnages avec tendresse pour rien. Il n’a pas voulu dénoncer ou justifier le terrorisme. Il a cherché à comprendre comment, à force de manipulations, d’auto-persuasion, de malentendus, d’arrangements avec les principes moraux, certaines personnes influençables peuvent en venir au pire. Certes, il l’a fait par le biais de l’humour, d’une façon que d’aucuns jugent dangereusement provocatrice. Mais dans un monde parfait, on devrait d’autant plus le louer pour sa bravoure.

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