Laurent Binet : La Vista florentine

Littérature / Exercice de style mais pas que, polar florentin épistolaire, le nouveau Laurent Binet est aussi inventif qu'il peine parfois à décoller, embourbe parfois, ennuie même, malgré sa virtuosité, avant de tout emporter dans son final. Du pur Binet, joueur. 

Au fil de ses livres Laurent Binet s'est fait connaître comme un as des romans à caractère historique dans lesquels il convoque des personnages réels pour mieux les plonger parfois dans d'improbables uchronies comme ce fut le cas avec le prodigieux Civilizations – il y inversait littéralement les proportions historiques pour imaginer qu'à la suite d'un concours de circonstances (des anticorps livrés par les Vikings, la capture de Collomb par les Taïnos, une guerre fratricide, un tremblement de terre) les Incas d'Atahualpa y découvraient et soumettaient l'Europe, changeant à peu près en tout la face du monde. Dans Perspective(s), Binet joue encore avec l'injection de fiction dans la toute relative vérité historique. L'argument ? Un certain B. met la main dans une boutique d'antiquaire sur une liasse de correspondances datant de 1557 – en pleine Renaissance italienne – et constitue un dossier de révélations sur la mort du peintre maniériste Jacopo da Pontormo, ancien élève de Da Vinci qui serait mort assassiné à Florence (« creuset dans lequel bouillonnaient les passions tout autant qu'un terreau où fleurissaient les passions »). C'est l'occasion pour l'auteur de raviver un genre, le roman épistolaire, que l'on pourrait croire désuet s'il n'avait livré dans un passé plus ou mois récent quelques grands succès de la littérature mondiale (comme We need to talk about Kevin de Lionel Shriver ou Inconnu à cette adresse de Kressman Taylor). Le sel de la chose est que les auteurs – une vingtaine – desdites lettres échangées sont plutôt illustres (Michel-Ange, artiste star en bout de course, Vasari, homme de confiance du Duc de Florence, Bronzino, l'élève de Pontormo une poignée de Médicis...).

Vénus 

Après la mort de Roland Barthes (écrasé par un camion de lait) dans La Septième Fonction du Langage, Binet se confronte et joue une nouvelle fois avec une mort pas banale en se glissant dans les angles morts de l'Histoire. Au vrai, on ne sait rien de la mort de Pontormo dont même la date est sujette à caution, on peut donc tout imaginer ; c'est pratique. Et avec quelques « si », comme dans Civilizations, rebattre toutes les cartes. Voici donc le peintre retrouvé mort au pied d'une fresque de la chapelle San Lorenzo, dont il était censé faire une rivale de la Sixtine du Vatican, et le Duc de Florence chargeant Vasari de mener l'enquête, entre Florence, Rome et Paris, alors qu'Henri II et le roi d'Espagne Philippe  tentent de faire main basse sur l'Italie. Comme dans un Cluedo en costumes, les suspects sont nombreux : nobles, artisans, bourgeois, ambitieux politiques et fanatiques religieux (les nus qui ornent les fresques de Pontormo ne font pas recette chez tout le monde, loin s'en faut, notamment du côté des partisans de Savonarole, pourtant six pieds sous terre depuis des lustres). Et la clé réside sans doute dans les fresques de l'artiste, c'est pourquoi un réseau d'artistes, dont Michel-Ange, est débauché pour résoudre l'énigme. À cela s'ajoute – c'est important – l'histoire du vol d'un tableau, une Vénus affublée du visage de la fille du Duc de Florence, Maria, ô sacrilège, qui arrange pourtant bien du monde.

Twist à Florence

Une fois qu'on a dit ça, la chose est plutôt alléchante sur le papier – surtout, encore une fois, si l'on s'est amusé comme un petit fou avec Civilizations –, d'autant qu'elle se présente comme la rencontre des Liaisons Dangereuses et d'Au Nom de la Rose, et il y a toujours une certaine jouissance à suivre les propositions d'un auteur aussi joueur et pour autant soucieux de rigueur historique sans que cela ne soit paradoxal. On continue aussi d'apprécier la fibre sociale et politique de Laurent Binet qui finit toujours par transparaître et prendre le parti des opprimés (ou opprimables). Mais au vrai, la réalité de Perspective(s) est que le dispositif prometteur est un peu lourd et que la chose se lit avec beaucoup moins de fluidité que Civilizations ou La Septième fonction... Que l'exercice de style peine parfois à être autre chose que simplement cela. La forme étant, comme chacun sait, le fond qui remonte à la surface, il y a possibilité de se noyer dans une intrigue rendue poussive par le mode narratif et une mer de personnages. Sauf que, peut-être est-ce là un moyen de nous mener en bateau (et de nous faire croire qu'il coule) pour mieux nous asséner un twist jailli comme un diable de sa boîte mais en réalité manigancé depuis le titre même du livre. Tout était une question de point de vue. Ou, s'agissant de peinture de la Renaissance, de « vision ».

Perspective(s) de Laurent Binet (Grasset, 304 p.)

Rencontre à la Librairie Passages mardi 19 septembre

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