The Sisters of Mercy : soeurs de son

Rock / Toujours actifs sur scène, et de passage au Transbordeur, The Sisters of Mercy n'ont pas publié d'album studio depuis... 33 ans. Étonnant pour un groupe qui ne se destinait au départ qu'au studio. Retour en 10 tubes sur une carrière aussi météorique qu'emphatique.

Alice (single, 1982)

En 1982, l'esthétique des Sisters of Mercy, formés à Leeds deux ans plus tôt par le ténébreux et loufoque Andrew Eldritch, est encore largement marquée par les manières étriquées (et militaires) des productions à plat d'un genre post-punk déroulant des titres en colimaçon portés sur le monocorde. Sur ce titre, il y a déjà tout les Sisters et en même temps rien. Rien notamment de cette grandiloquence pompière (s'agissant du groupe, c'est loin d'être un pléonasme) et de cette théâtralité ténébreuse. Avec les années, The Sisters of Mercy vont prendre davantage de relief et affirmer sa personnalité et une esthétique qui influencera des groupes aussi divers que le Big Black de Steve Albini, Nine Inch Nails, Marylin Manson et Paradise Lost.

 

Marian (First and Last and Always, 1985)

L'atmosphère est toujours glaciale et un peu cheap sur ce titre tiré de First and Last and Always, premier album dont la production et même la progression mélodique rappellent les The Cure de la période glacière. Seule la voix d'Eldritch vient faire fondre l'ensemble dans un exercice de crooning zombie qui s'essaie même à l'allemand. Comme souvent dans les chansons gothiques empruntant aux poètes romantiques – celle-ci est l'une des préférées de la frange gothique des fans du groupe – il y est question de noyade (thème cher à Robert Smith également) car, c'est bien connu, les romantiques aiment d'autant plus se jeter à l'eau qu'ils ne savent pas nager.

 

This Corrosion (Floodland, 1987)

This Corrosion inaugure une triplette de singles qui fera prendre, sur l'album Floodland, une autre dimension aux Sisters. À tous les sens du terme. Le groupe quitte sa chapelle gothique pour une cathédrale (une cathédrale construite au milieu d'un stade, lui-même situé en haut d'une montagne), avec force réverb, mille-feuilles de synthés, échafaudage de chœurs mi-gospel, mi-grégoriens et Eldritch en maître de cérémonie qui se mettrait presque à chanter. Il règle ici ses comptes avec son ancien acolyte Wayne Hussey (les deux se sont écharpés pour la garde du nom du groupe) tout en faisant référence à l'anneau des Nibelungen. Avec cette bombe wagnerienne quelque peu bordélique de quasiment dix minutes (dont la moitié à répéter ad lib : « Hey now, hey now now, sing this corrosion to me  »), The Sisters of Mercy escaladent les charts britanniques et se ménagent même une petite percée américaine. Le titre charnière.

 

Dominion/Mother Russia (Floodland, 1987)

Deuxième étage de la fusée tubesque avec son synthé cristallin en guise d'introduction, Dominion cumule positivement tous les clichés en vigueur dans la pop de ces années-là : batterie mouillée comme enregistrée dans un hangar à Boeing et saxo dégoulinant hurlant à la lune sous la gouttière. Dominion s'inspire d'un célébrissime poème de Percy Shelley, Ozymandias, sur le crépuscule des idoles et le vacillement de leur toute puissance et, dans sa version avec insert russe, de la catastrophe de Tchernobyl inondant de radiations l'Europe de l'Ouest (dont Eldritch déteste le suivisme à l'égard des Etats-Unis). Le résultat est entêtant en diable.

 

Lucretia, My Reflection (Floodland, 1987) 

Troisième clou enfoncé par un Eldritch en état de grâce et en mode furtif à l'entame d'une chanson portée par un arpège de basse dément. Référence à Lucrèce, la dame romaine suicidée après avoir dénoncé son viol (à ne pas confondre avec Lucrèce Borgia) et symbole de la chute de l'Empire romain, Lucretia est une allégorie de la renaissance du groupe après la brève séparation et les multiples batailles de requêtes en paternité. Mais la Lucrèce d'Eldritch, Borgia, cette fois, c'est aussi une nouvelle membre déterminante en la personne de Patricia Morrison (surnommée la « Gothmother » par les fans du genre), nouvelle venue chargée d'assumer la part féminine du groupe à la basse, au chant et à l'image. Et la nouvelle direction, épique, du groupe.

 

More (Vision Thing, 1990)

Troisième album des Sisters, Vision Thing prend un nouveau virage, moins opératique, plus direct et Hard FM, comme sur ce morceau qui donne son titre à l'album. Se piquant de géopolitique, Vision Thing est une charge contre la politique de George H. Bush. Pendant le mandat Bush Sr., les journalistes américains pointent l'absence de vision du Président. En retour, il se moque des journalistes en feignant d'ignorer ce qu'est ce « machin de vision » (« vision thing ») qui semble les obséder. Eldritch, qui déteste la main mise américaine sur la politique mondiale, saute sur l'occasion, toutes guitares dehors, et développe un anti-américanisme quasi primaire mais compréhensible. Il dégaine alors More, duo piano-bastringue introduisant guitares et chœurs gospelisant dans une surenchère qui porte bien son nom.

 

Doctor Jeep (Vision Thing, 1990)

Ici, Eldritch concentre tous les clichés de la politique américaine et du crime international (pour lui, une seule et même chose) des 50 ans d'après-guerre : la Bombe, le Vietnam, le Hezbollah, les armes automatiques, les businessmen et les mercenaires, les médias fous de guerre (l'album sort en pleine première guerre d'Irak). Doctor Jeep, petite bombe pop metal au riff farouche, agrémentée de synthés cristallins période Floodland, est comme une journée de zapping frénétique des news de CNN. Eldritch semble y dire une messe situationniste en lieu et place de l'homme-tronc des Breaking News. Banal à l'ère des orgies informatives de 2023 mais, à l'époque, étourdissant.

 

When You Don't See Me (Vision Thing, 1990)

Derrière ses aspirations metallo-grunge, Vision Thing est l'album le plus pop des Sisters of Mercy, le plus enclin à rechercher l'efficacité en lieu et place de l'alambiqué. La preuve avec When You Don't See Me et son riff FM. La voix d'Eldritch est plus légère (façon de parler) pour chanter les émotions bon marché propres à la pop : « I don't exist when you don't see mee / I don't exist when you're not here ». Pas le titre le plus emblématique des Sisters of Mercy mais un modèle de chanson pop à muscles saillants et cœur d'artichaut.

 

Something Fast (Vision Thing, 1990)

Sous le mille-feuilles d'airain et de pierre qui compose la carapace des timoniers du rock dit "hard", il y a toujours un petit cœur prêt à couler comme un fondant au chocolat sur un radiateur. Et à dégainer l'un de ses bons vieux slows taillés pour les quarts d'heure américains d'antan. C'est même quasiment un passage obligé de tout album musclé, au point que ladite guimauve éclipse parfois le reste (syndrome Scorpions/Still Loving You ou Metallica/Nothing Else Matters pour ne citer qu'eux). Eldritch avait déjà fait le coup précédemment avec 1959 (sur Floodland) et remet le couvert avec ce Something Fast acoustique qui n'aurait pas démérité sa reprise par Johnny Cash.

 

Temple of Love (single, 1983/1992)

Sorti en 1983 avec une production d'époque quelque peu aplatie, Temple of Love est le premier tube de Sisters of Mercy. Sauf qu'on ne le sait que neuf ans plus tard, quand le titre connaît une (belle) seconde vie une décennie plus tard, réenregistré et reproduit. On y retrouve toujours la rythmique saccadée signée Doktor Avalanche, la seule boîte à rythme de l'histoire du rock officiellement reconnue comme membre d'un groupe (le seul durable avec Eldritch), un synthé s'exprimant en cascade, mais ici redoublé de guitares. La version de 1983 laissait déjà entrevoir la voix du chanteur mais sans commune mesure avec celle de 1992 qui tranche directement dans la chair et dont les inflexions gravissimes avalent la moitié des mots – quelque part entre un Johnny Cash enroué et l'organe du Batman de Fincher. Surtout en contraste avec les vocalises de diva orientale de la chanteuse israélienne Ofra Haza. Un monument de gothique dansant qui finira troisième des charts anglais et se positionnera partout en Europe. Le dernier coup d'éclat discographiques des Sisters.

The Sisters of Mercy
Au Transbordeur, mardi 17 octobre 

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