L'animation indé ne tombe pas à-plats

Animation / Après Mars Express, deux nouveaux longs métrages indépendants tentent de se frayer un chemin au milieu des locomotives de fin d’année. Avec une même idée en tête : de l’audace, dans le graphisme comme dans le ton.

Pendant que Wish (made in Disney) et Migration (made in Illumination / Universal, mais réalisé par le Français Benjamin Renner, déjà derrière les excellents Ernest et Célestine et Le Grand méchant renard) vont truster les écrans jusqu’à la fin des vacances, quelques longs-métrages d’animation produits par des sociétés indépendantes tentent de grappiller leurs miettes. David contre Goliath ? Oui, mais le cinéma animé a depuis longtemps démontré sa capacité à exister dans la durée — même le très cossu Pixar en a fait la drôle d’expérience avec Elémentaire, succès au très long cours après un démarrage poussif. On a déjà dit tout le bien que l’on pense de Mars Express de Jérémie Périn, fable de science-fiction nourrie de références culturelles, politiques et philosophiques. Voici en décembre deux autres belles propositions : Sirocco et le royaume des courants d’air de Benoît Chieux et Mon ami robot de Pablo Berger.

Robot rétro

Ici, l’indépendance se traduit d’abord par des décisions atypiques et courageuses, comme ce récit entièrement muet chez Berger, retraçant l’amitié dans le New York des années 80 entre un chien solitaire et le robot qu’il a acheté, avant de devoir l’abandonner sur une plage de Long Island après une défaillance technique. Berger n’en est pas à son coup d’essai en la matière : il y a dix ans, il réalisait sans le moindre dialogue le superbe Blancanieves, fantaisie andalouse en noir et blanc autour de Blanche-Neige. Il retrouve ici cet alliage très particulier entre un goût pour le cliché touristique — le New York du film est un assemblage de cartes postales et de clins d’œil appuyés, loin de tout réalisme — et la quête d’une pure émotion visuelle et sonore. À l’évasion propre à l’animation, il ajoute ainsi au cœur du film la liberté d’aller et venir dans les rêves du robot et ses espoirs de retrouver son compagnon. Le film ne déborde pas son cadre de feel good movie, cherchant l’allégresse et l’invention partout, ne s’autorisant la mélancolie que pour mieux la combattre. Mais le plus étonnant reste son animation volontairement plate : ce sont des dessins en mouvement, simples et naïfs, aux traits épais et aux couleurs uniformes, sans perspective ni relief. Un minimalisme tellement poussé qu’il en deviendrait presque maximaliste !

Coup de vent graphique

Un point qu’il partage partiellement avec Sirocco. Ce dernier est plus classique dans son argument, variation autour de deux Alice envoyées dans un pays des merveilles gouverné par un magicien créateur de tempêtes. La mise en abyme du film, où ce royaume des courants d’air est l’invention d’une romancière par laquelle elle fait le deuil de sa sœur, lui fournit sa part la plus vibrante, où l’imagination console ceux qui s’en servent plus que ceux qui s’y perdent. Mais c’est aussi une trappe vers sa liberté graphique : le passage des personnages d’un monde à l’autre se fait en perdant toute dimension, comme aplatis par les rouleaux d’une presse à gravure, réduits à n’être que des formes colorées en mouvement. Chieux choisit d’ailleurs de laisser souvent ses arrière-plans et ses décors entièrement figés, n’animant que ses éléments centraux. Décision radicale qu’on taxerait de passéiste si elle ne s’accompagnait d’idées figuratives parfaitement modernes, au sens pictural du terme. Sirocco est ainsi toujours au bord de l’abstraction, comme lorsqu’il représente les nuages par un moutonnement organique, selon des traits qui rappellent ceux de Katsuhiro Otomo, ou lors d’un climax final pensé comme un vortex tourbillonnant, avec un « monstre » proche de celui vu l’an dernier dans Nope. Des références adultes, coïncidences heureuses ou influences conscientes, dont le miracle est qu’elles se fondent dans un film pensé pour les enfants et qui en respecte le sens naissant de l’esthétique et du goût.

Sirocco et le royaume des courants d’air
de Benoît Chieux (Fr, 1h20)
Sortie le 13 décembre

Mon ami robot
de Pablo Berger (Fr-Esp, 1h41)
Sortie le 27 décembre

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