Arkane Studios : « le triomphe de Deathloop est une consécration »

Jeu Vidéo / Arkane Studios, créateur de jeux vidéo installé depuis plus de vingt ans à Lyon, rayonne sur la planète grâce à son dernier jeu en date, Deathloop : deux prix remportés aux Game Awards, cinq aux Pégases 2022. Aux manettes depuis septembre 2021, il y a Dinga Bakaba qui commencé comme game designer il y a douze ans avant de gravir les échelons, et Sébastien Mitton, le directeur artistique présent depuis 18 ans. Rencontre.

Arkane Studios, présent à Lyon depuis 1999, n’est pas connu de tous les Lyonnais. Vous êtes des créateurs de jeux vidéo mais de quels types de jeux parlons-nous ?
Dinga Bakaba : Arkane existe depuis plus de vingt ans et a été fondé à Lyon sur la proposition de réaliser un certain type de jeu très spécifique qu’on qualifie d'immersive sim, c’est une vraie philosophie de design. Il s’agit de créer un jeu qui donne énormément de liberté aux joueurs. Il y a une histoire et un but mais aussi beaucoup d’outils pour interpréter l’environnement et la narration. Cette philosophie n’existait pas trop en France avant Arkane et le studio essaie, depuis vingt ans, de la raffiner, de la moderniser et de la rendre plus accessible. L'objectif n'est pas de réaliser un certain type de jeu pour des amateurs mais de populariser ce type de jeu et d’avoir de l’influence sur l’industrie. On aime ce concept donc on a envie de le retrouver chez d’autres développeurs.

Sébastien Mitton : Pour nous le concept de jeu immersive sim c’est prendre le joueur par la main au tout début jeu et après, c’est à lui de faire le boulot. Nous, on se casse la tête pour faire comprendre le maximum de ce qui est essentiel et ensuite, on laisse le joueur s'éclater !

En quelques mots, comment décririez-vous la philosophie d'Arkane ?
Sébastien Mitton : On essaie de se projeter dans la tête du joueur, qui est pour nous le personnage principal. C’est le cas dans beaucoup de studios, mais à Arkane on met une énergie folle pour que le joueur puisse être créatif et non juste suiveur. Il doit pouvoir mettre son nez partout et découvrir en permanence.

Dinga Bakaba : Je dirais qu'au niveau de la manière de créer, on a une manière de fonctionner un peu artisanale, malgré le fait que l’on soit aujourd’hui une grosse industrie. On ne veut pas perdre le côté humain de nos productions. On y met beaucoup de nous et même si on a grossi, on essaie de préserver cette philosophie de création à taille humaine.

Des années de flottement ? Il y en a eu.

L’écosystème du jeu vidéo est très compétitif en France et dans le monde. Vous arrivez à sortir votre épingle du jeu économiquement. Votre longévité et vos succès en témoignent. Quel est votre secret ?
Dinga Bakaba : Des années de flottement ? Il y en a eu mais nous n’avons jamais arrêté de créer. Il y a plus de vingt ans, Arkane a démarré tout petit, d’abord avec des bureaux à Lyon, puis le fondateur à ouvert un second studio à Austin au Texas en 2006. Entre-temps, Arkane a été racheté par ZeniMax Média, grand développeur américain. En 2012, Dishonored, une création commune à Arkane Lyon et Austin, a été édité par Bethesda Softwork, gros éditeur et principale filiale du groupe ZeniMax Media. Ces étapes nous ont permis de retrouver une croissance et de donner au studio une portée internationale. Aujourd’hui nous avons encore passé un cap puisque ZeniMax Media et l’ensemble de ses studios ont été rachetés par Microsoft. Maintenant, il y a une indépendance entre Arkane Lyon et Austin. Chacun travaille sur ses propres jeux mais cela n'empêche pas de se donner un coup de main si besoin !

Vous êtes connus pour vos visuels uniques, que ce soit dans Dishonored ou dans le dernier sorti Deathloop. Vos univers sont multiples et le joueur peut en apprécier tous les détails. Quand vous parlez de concept de jeu immersif, on peut supposer que le visuel tient un rôle.
Sébastien Mitton : Le premier contact avec le jeu c’est le visuel donc il faut être marquant. On n’a jamais fait de jeu dans une vraie réalité mais dans des « réalités twistées, une réalité et si » comme dans Dishonored ou Deathloop. On crée nos cartes, nos villes, on prend ce qui nous intéresse dans les populations, dans le social, dans la politique. Nos univers sont toujours inspirés de la réalité avec des fondations fortes. Ce sont des discussions encore et encore en petit groupe, chacun peut nourrir le visuel avec des idées, des références. La différence avec d’autres ? On est un peu perfectionnistes, on se pousse dans nos propres retranchements. La narration rebondit, ensuite le design et ainsi de suite. Dishonored 2 est pour nous le climax de la création et Deathloop est son digne successeur, plus axé sur le scénario. Quand Dinga est venu me parler de son idée de boucle temporelle, un autre directeur artistique que moi serait parti en courant mais moi, je lui fais une totale confiance, on se connait. En retour, il me fait confiance dans le visuel et ça m’assure une autonomie, pareil pour la narration.

Dinga Bakaba : On construit notre influence artistique, historique, économique, sociale avec des références littéraires, cinématographiques, de la peinture. On capitalise et profite de la diversité de l’équipe venant aujourd’hui de régions et de pays différents en leur laissant la possibilité d’amener leur propre contribution, en apportant leur culture, leur influence. La direction créative est centralisée pour une question de facilité mais elle est enrichie par les contributions de toute l’équipe tout au long de la production.

Dans une vision plus locale, on peut se demander s'il existe un écosystème lyonnais ou tout du moins régional autour du jeu vidéo. Considérez-vous votre emplacement comme un atout ?
Sébastien Mitton : En tant que Lyonnais, je n’ai jamais quitté la ville depuis mes débuts à Eden Games en 1998. Il y a eu une explosion de studios du jeu vidéo il y a vingt ans, on appelait Lyon la "silirhône valley". Il y en a beaucoup moins aujourd’hui mais nous, on est toujours là. Être situé à Lyon c’est être central, dans une belle ville, avec une histoire attirante pour les artistes. On est dans un cadre sympa, c’est clair.

Dinga Bakaba : Je suis Parisien, et avant Arkane je vivais au Pays-Bas. Je suis venu à Lyon exclusivement pour Arkane sans trop me soucier de la ville. Maintenant, cela fait douze ans que je suis là, et je m’y plais. Avec du recul, il faut reconnaître qu’il y a ici de belles écoles d’art et de jeux vidéo dont on récupère des talents intéressants. C’est bien qu’ils viennent travailler chez nous ou ailleurs en France, sinon le risque c’est qu’ils partent immédiatement pour le Canada ou même les Pays-Bas... Quand on fait venir des gens qui viennent d’ailleurs, Lyon est toujours une très belle surprise ! C’est un secret bien gardé en fait. Tous les Français ne sont pas au courant de combien la ville est belle et riche culturellement. C’est un avantage certain car lorsque les gens sont venus, ils veulent rester. Il faut continuer à faire rayonner la région. Ce n’est plus un pôle comme il y a vingt ans mais ça reste attractif pour le secteur des jeux vidéo par le lieu et l’histoire avec des boîtes chouettes comme Arkane, Ubisoft, ou des studios indépendants très talentueux. Lyon est une véritable arme de recrutement.

On a direct envie de relancer la machine

Parlons maintenant de Deathloop, votre dernier jeu qui rafle tous les prix, aux Games Awards à la fin de l’année dernière puis aux Pégases 2022. Des récompenses individuelles et d’autres communes au travail de l’équipe, un succès et une reconnaissance mondiale unanime. Lors de la création, aviez-vous envisagé le triomphe retentissant de Deathloop ?
Dinga Bakaba : On est hyper content ! On a travaillé dur, on s’est beaucoup impliqué sur ce projet développé dans un contexte aussi particulier que celui de la pandémie. C’est une sacrée victoire pour nous et on est aussi très fiers pour l’équipe. C’est extrêmement valorisant pour tout le monde de voir que malgré les moments de doutes, de stress, ce qu’on a pu créer est apprécié et que le jeu fait sourire et rêver des gens. L’idée que notre jeu puisse inspirer des collègues ou des futurs développeurs est très gratifiant. Ça donne beaucoup d’énergie pour réfléchir à l’après et continuer. On a direct envie de relancer la machine !

Sébastien Mitton : Bien que très motivé dans la création d’un jeu, on n'a jamais aucune garantie du résultat même si on a mis toute notre énergie dedans. J’ai le souvenir d’avoir dit à Dinga qui m’avait partagé les premières notes de narration : « mais t’as vu comme c’est fou ! ». On voulait que tout soit dans une unité totale : le gameplay, la musique, les dialogues. Je lui avais dit « avec ça c’est certain on va aux Awards direct » et trois ans après, la narration, les acteurs, la musique sont nominés et ça fait plaisir. On sentait qu’il y avait un truc à faire. On ne savait pas comment, on ne savait pas si les gens en charge de ces domaines allaient performer et ils ont vraiment tous joué le jeu. Étre juste nominé, c'était déjà être reconnu.

Après un tel succès, vous avez sûrement déjà relancé la machine …
Dinga Bakaba : On aime bien regarder le futur en se disant qu’on va continuer un petit peu sur ce qu’on aime faire : « surprise and delight », c’est à dire qu’on va surprendre et parfois prendre les attentes à contrepied, mais quand même, on va régaler comme toujours ! On est un studio généreux, dans l’énergie et l’amour de ce que l’on fait. L’idée est de continuer à en faire autant. Faire plaisir aux joueurs et toucher de plus en plus de monde aussi. Mais avec l’optique de toujours surprendre la communauté !


5 dates clés

1999 : Arkane Studios est fondé à Lyon par Raphaël Colantonio qui a débuté à Electronic Arts (EA)

28 juin 2002 : Sortie de Arx Fatalis, première création de Arkane Studio avec laquelle il se fait remarquer. Un jeu au concept de simulation immersive

12 août 2010 : Rachat de Arkane Studios par ZeniMax Media, entreprise américaine de développement, d’édition et de distribution de jeux vidéo

9 octobre 2012 : Sortie de Dishonored, Arkane s’impose comme l’un des acteurs les plus reconnus du jeu vidéo

14 septembre 2021 : Sortie de Deathloop, l'heure de la consécration pour Arkane Studios

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