«Donner le goût du savoir par le hip-hop »

Allons enfants / Le duo de cinéaste Thierry Demaizière - Alban Teurlai est de retour avec un nouveau documentaire consacré au lycée Turgot de Paris, seul établissement en France ayant intégré une section hip-hop ouverte à tous les profils. Ils ont suivi les élèves de cet enseignement particulier et stimulant durant une année scolaire. Explications à l'occasion des Rencontres du Sud d'Avignon.

Les danseurs dans Relève, Rocco Siffredi dans Rocco, les flux des pèlerins dans Lourdes et maintenant Allons enfants. Qu'est-ce qui vous fascine autant dans le fait de filmer des corps ?

Thierry Demaizière : On est surtout portraitistes... On filme des portraits individuels ou des univers dans lesquels on rentre et que l'on découvre : celui des pèlerinages à Lourdes ou ici celui du lycée Turgot à Paris. L'idée, c'est de rentrer dans des failles pour découvrir un monde, et les raconter.

Comment avez-vous choisi vos protagonistes ? Vous ne pouviez pas anticiper que certains réussiraient et pas d'autres...

TD : Le casting est assez simple parce que le prof que l'on voit d'ailleurs au début du film reçoit les gamins en début d'année et il les interroge. Nous ce qu'on cherchait, ce n'était pas forcément des gamins qui réussissent, mais des parcours de gosses en échec scolaire et à qui, par l'outil pédagogique du hip-hop, le prof et le proviseur essayent de donner le goût du savoir. On cherche plutôt des histoires de gamins en difficulté ; le hip-hop est un peu le vecteur. On a fait le portrait d'une génération dont le hip-hop est le langage.

Alban Teurlai : On se positionne comme un “grand public” : quand on est arrivé à Lourdes pour le début du tournage, on n'avait jamais mis les pieds là-bas. Quand on est arrivé dans un balle hip-hop, on ne savait pas ce que c'était ; notre intention et notre attention étaient de faire un film qui pourrait nous parler, mais surtout de ne pas faire de films de spécialistes : on veut ouvrir pour que ça puisse intéresser les gens qui aiment le hip-hop, mais pas que. On veut que ce film parle aux jeunes, aux parents... Comme le disait Thierry, le hip-hop est un peu un prétexte pour parler d'autre chose. Et c'est souvent ce qu'on fait dans nos films : le thème n'est pas forcément ce que l'on va traiter.

Comment avez-vous réussi à obtenir leur confiance ? Il y a des prises de paroles extrêmement touchantes...

TD : C'est lié à notre façon travailler. On commence avec de longs entretiens qui vont faire l'architecture de notre film. On les interroge pour savoir d'où ils viennent, où ils vont, ce qu'ils veulent faire et tout... Le seul qu'on a interviewé en fin de parcours et pas au début, c'est Nathanaël qui était un gamin qu'on n'avait pas repéré : sa première interview en début d'année n'avait rien donné. Et puis au fur et à mesure de l'année, avec ses retards, le personnage est apparu comme un cancre génial et on l'a réinterviewé en fin d'année où il est prolixe. Mais les interviews sont quand même, en gros, le début de notre travail.

AT : C'est aussi un moyen de rentrer en contact avec eux, c'est-à-dire que, dès lors que l'interview a eu lieu, on sait qui ils sont, ils savent qui on est, et je pense que c'est aussi rassurant et réconfortant pour eux, parce qu'ils voient effectivement nos intentions — qui sont bienveillantes — et ça rend beaucoup plus simple après le rapport entre nous, quand il s'agit de les filmer au quotidien. Parce qu' il y a déjà un lien qui s'est tissé.

Vous avez insisté sur le fait que vous étiez portraitistes. Il y a des portraits de lycéens à deux degrés : individuels lorsqu'ils présentent leurs freestyles, et puis des portraits de groupe quand le collectif se construit, quand les élèves apprennent à travailler ensemble. Comment avez-vous observé cette fusion — qui se cristallise beaucoup autour du mot “déter“ ?

TD : Le gros intérêt dans la danse quand il y a une création, c'est qu'au fur et à mesure que le processus créatif avance, le groupe se soude, il se passe des choses et à la fin, il y a un groupe qui danse. On l'avait vérifié avec avec Relève et ça s'est vérifié là aussi. Surtout avec ceux qui allaient au Championnat.

À quel moment s'opère la bascule ? Est-ce tangible ?

TD : On le montre au montage mais c'est très lent.

AT : Il y a beaucoup de préselections avant la compétition et si on était rentré là-dedans, ça aurait presque pu être un film à part entière. On a un peu accéléré la réalité de la situation parce qu'on avait besoin que le récit avance.

Avez-vous trouvé des similitudes entre les danseurs de l'Opéra de Paris et ces lycéens dans la manière d'aborder le travail du corps, la discipline, l'engagement ?

TD : Je n'y ai pas pensé comme ça, mais non. Parce que les danseurs de l'Opéra sont des athlètes... (il hésite)

AD : Et ce sont des pros, déjà. Là, on est quand même avec des gens qui ont 15 ans. Ce qui nous avait frappé à l'Opéra, c'est qu'il y avait une sorte de formatage des corps et l'idée que l'excellence passait par la souffrance, par la contrainte. C'est tout le contraire du process avec David — ce prof génial qu'on voit pendant tout le film — puisqu'il leur dit très tôt : « il faut que vous soyez heureux ». C'est d'abord libératoire, on n'est pas là pour se faire mal, ni pour souffrir, mais pour “kiffer“, comme il dit.

TD : Nous on est admiratifs de ce prof. D'ailleurs, les élèves sur le moment, ne se sont pas rendu compte à quel point David était un prof aussi exceptionnel que ça. Maintenant, ils ont grandi, ils ont deux ou trois ans de plus et ils prennent conscience qu'ils ont eu un bol énorme de tomber sur lui. Il est sur toutes les balles ; même dans la compét'.

AD : Il est héroïque, vraiment. Et l'année où l'on a tourné avec lui, il n'a jamais perdu patience — et pourtant parfois, quand il y a 20 ou 30 mômes qu'il faut tenir, je me disais qu'il allait s'énerver. Et jamais.

TD : Il est investi, il aime son métier, il aime les gamins. Même le proviseur : quand une élève décroche, il en est malade. C'est comme un échec personnel. C'est un grand proviseur en fin de carrière, lui a pris le risque d'accompagner des enfants dont il n'est pas sûr qu'ils iront jusqu'au bac (alors que les proviseurs sont notés sur les résultats au bac). Lui se fout de sa propre note.

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