Ciné en crise : des événements, de la régulation, et le bout du tunnel

Le Septième art est en crise, et d’aucuns envisagent d’ores et déjà la disparition des salles obscures ? Parce que le cinéma est d’abord un lieu de culture de proximité, Le Petit Bulletin s’est penché sur la manière dont les exploitants du territoire vivent et analysent cette période particulière.

Des chiffres et des mots angoissants, en boucle sur toutes les lèvres, durant plusieurs semaines. Le 3 octobre dernier, le CNC publiait pour le mois de septembre 2022 les pires statistiques de fréquentation des salles de cinéma depuis 1980. Et badaboum, le monde découvrait ainsi ce que bien des professionnels du secteur avaient redouté dès la fermeture des salles en mars 2020. Oui, les dégâts causés par le Covid sur l’économie du grand écran perdurent. Oui, la baisse de fréquentation des salles s’avère bien difficile à endiguer. Oui, ces chiffres nationaux ont de quoi faire naître certaines inquiétudes légitimes. La situation devait-elle pour autant être flanquée de l’adjectif « catastrophique » brandi à tout bout de champs depuis ? Méritait-elle les commentaires rapides et assassins d’un magnat de la profession, en direct sur le service public ? « Les gens ne veulent pas aller au cinéma pour se faire chier ! (…) les films qui sortent ne sont pas bons ».

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Dans la Loire, manches retroussées, les exploitants des cinémas du territoire ne souhaitent pour leur part ni édulcorer les choses, ni les dramatiser. Tous, enregistrent des pertes de fréquentation notables, aux alentours de 25% pour la plupart, en comparaison à 2019 (soit un peu moins que la moyenne nationale, aux alentours de 30%). Tous, font aujourd’hui face à des hausses du prix de l’énergie qui aggravent encore l’état de leurs trésoreries. Mais, eux qui chaque jour sont au contact des spectateurs et suivent à la loupe les entrées générées par chacun des films programmés, proposent tous une lecture moins noire de la situation que le scenario catastrophe d’ordinaire mis en avant.

2022, année tronquée

« Il faut être assez précis avec les chiffres, souligne ainsi Julie Coquard, directrice du Family à Saint-Just-Saint-Rambert. Comparer 2022 et 2019, qui avait été une année exceptionnelle pour le cinéma en salles, n’a pas beaucoup de sens. Mieux vaut comparer 2022 à la moyenne de fréquentation des années 2017, 2018, 2019. Dans ce cas, nous enregistrons une perte d’environ 20% de nos entrées, ce qui, en soi, n’est pas si mal compte tenu des événements ».

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Car, si 2022 fait office de première année de pleine exploitation depuis le début de la pandémie, les cinémas ont néanmoins dû composer jusqu’au 14 mars avec les passes sanitaire puis vaccinal, lesquels, on le sait, ont tenu éloigné des salles une partie du public. A cela s’ajoute une crise économique, qui pousse les spectateurs occasionnels comme réguliers à restreindre leurs sorties culturelles, et donc, à se rendre moins souvent au cinéma. « Depuis deux ou trois ans, on accumule les difficultés, pointent Évelyne Chouvier et Élise Fayolle, respectivement vice-présidente à la Culture au sein de Loire Forez Agglo et programmatrice du Cin’Étoile de Saint-Bonnet-le-Château. Mais nous sommes optimistes : il s’agit de crises temporaires, et on en sortira un jour ». Selon elles, la désaffection pour les salles aurait ainsi bel et bien une fin…

Un élan d’optimisme auquel il n’est pas simple d’adhérer au premier regard, tant on sait que les confinements successifs ont également entraîné un changement des pratiques culturelles du public, de la sortie régulière à la consommation, parfois frénétique, de contenus accessibles via les plateformes.

Films moteurs

« Et, pourtant… Même si les difficultés sont réelles, le cinéma reste la première sortie culturelle des Français. Venir au cinéma, ce n’est pas juste regarder un film, c’est s’offrir un moment », constate pour sa part Kevin James, l’un des responsables du Veo Saint-Chamond. Une donnée capitale, qui, renforcée par une stratégie d’événementialisation de la séance (rencontre avec l’équipe du film, ciné-débat, soirée thématiques…) mise en œuvre dans toutes les structures du département, laisse à penser qu’une issue positive est non seulement possible, mais d’ores et déjà visible… D’autant que les deux dernières semaines écoulées démontrent à elles toutes seules que le grand écran a encore bien des choses à apporter au public : partout, en continu depuis la sortie d’Avatar, la Voie de l’eau, les salles archipleines ont en effet refait leur apparition, regonflant les chiffres de fréquentation annuels en même temps que le moral des troupes. Et, si 2022 fut assez creuse en termes de sorties de blockbusters fédérateurs, avec seulement un Top Gun et un Avatar pour assurer le rôle de grosse locomotive au sein des structures, 2023 s’annonce d’ores et déjà plus réjouissante.

Solidarité entre les maillons de la chaîne

« Le film familial est très certainement l’avenir de notre profession, analyse ainsi Lorêva Alavin, directrice du Ciné Pilat à Pélussin. L’équilibre entre gros films et plus petits a été totalement bouleversé. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour conserver une certaine harmonie dans nos propositions pour séduire le public… Mais le cinéma, ce ne sont pas que des exploitants ».

Autrement dit, si les dirigeants, salariés et même bénévoles des salles obscures ont par la force des choses transformé leurs manières de fonctionner, acceptant, ci, de créer des séances spéciales, là, de programmer des films moins longtemps ou sur moins de séances, un peu plus loin, de fermer certains écrans sur certains créneaux horaires… Les distributeurs sont jusqu’ici assez peu à l’écoute de ce besoin de régulation. Trop de propositions fortes en même temps à certains moments, pas de proposition forte du tout à d’autres. Des sorties en exclu sur des plateformes. D’autres pour seulement quelques jours en salles, avant de jouer tout de suite la carte de la VOD.  Rien qui n’ait quoi que ce soit à voir avec la qualité des films, mais davantage avec la bonne volonté, en somme. Et des pistes à creuser rapidement, pour voir la machine se relancer pour de bon.


La dentelle Art et Essai

Sans les bénéfices de l’effet blockbuster, la situation est d’autant plus compliquée pour les salles dédiées au cinéma d’art et essai. Paul-Marie Claret, directeur du Méliès à Saint-Étienne, n’était pourtant pas dépourvu de films « porteurs » il y a de cela quelques années… « Sauf qu’aujourd’hui, mes meilleurs films font 3000 entrées, et ils sont peu nombreux. Pour que cela fonctionne de nouveau, il faut davantage de films qui rapportent à la salle. Et pour cela, dans un contexte de crise, il faut de la régulation. Si sur une semaine, j’ai trois propositions fortes et deux propositions « du milieu », à l’arrivée, je perds en nombre d’entrées, parce que même les spectateurs les plus fidèles ne pourront pas tout voir… »

 

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