Climat anxiogène, version 2 : l'inflation

Éco / Dajà fragilisé par les répercussions des confinements successifs, le monde culturel fait aujourd'hui face à une deuxième crise inquiétante pour son écosystème.

Coup de gel, sur l’optimisme des responsables de lieux culturels. Après la douche froide covidée de l’hiver 2020 - pour partie rééditée à l’hiver 2021 - l’hiver 2022 a de quoi faire naître l’inquiétude chez ceux qui se battent avec entrain pour convaincre le public de franchir de nouveau les portes de leurs salles.

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Tandis qu’ils font déjà face aux changements d’habitudes de « consommation » culturelle liés aux confinements successifs, les établissements sont en effet directement impactés par la baisse du pouvoir d’achat des ménages, due à l’inflation : parmi le public des concerts, spectacles, cinémas ou expos, beaucoup hésitent aujourd’hui à dépenser de l’argent pour s’offrir une sortie culturelle ; certains malheureusement, ne peuvent déjà plus se le permettre.  

Une double peine pour les salles, puisqu’à cette baisse de fréquentation (et donc des recettes) qui s’annoncent, s’ajoute la hausse importante de leurs frais de fonctionnement, induite par l’augmentation des coûts de l’énergie. Sur la métropole stéphanoise, plusieurs structures, qui ont vu leurs contrats renégociés en 2022, n’ont pu que constater les très mauvaises surprises : au Fil, le tarif de l’électricité a été multiplié par 2, tandis que celui du gaz pourrait être multiplié par 3, 6. « Le surcoût représentera 80 000 euros dans notre budget 2023, c’est ce qui nous empêchera d’atteindre l’équilibre l’an prochain », souligne la directrice Ludivine Ducrot.

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Du côté du Méliès, la sérénité n’est pas non plus de mise, d’autant que le gaz et l’électricité représentent également de gros postes de dépenses pour les cinémas, du fait de l’éclairage et des projecteurs, ainsi que du chauffage ou de la clim, le tout, 365 jours par an : « Pour 3 de nos contrats, notre fournisseur se donne le droit de moduler les tarifs tous les 35 jours… A l’année, cela pourrait représenter une augmentation de 25 000 euros », indique ainsi Paul-Marie Claret, le directeur.

Côté solution, plusieurs pistes sont ouvertes, quoi qu’aucune ne saurait-être satisfaisante. Si à Strasbourg, la maire EELV a pris la décision de fermer les musées 2 jours par semaine au lieu d’un seul, pour économiser sur l’électricité, du côté de Sainté, chacun travaille aujourd’hui d’arrache-pied pour éviter d’amputer l’offre proposée… Et in fine, l’accès à la culture.

Chacun devra faire des efforts, mais on fera tout pour ne pas en passer par une réduction de l’offre culturelle, car on sait que la culture est un pilier important de notre vie et de notre territoire.

En ce qui concerne les musées de la Ville et de la Métropole, l’adjoint et vice-président en charge de la Culture, Marc Chassaubéné, l’affirme : tout sera fait pour ne pas toucher à leur amplitude d’ouverture et à leur accessibilité : « Les arbitrages qui sont actuellement en discussion devront se faire entre tous les équipements de la collectivité : musées, piscines, écoles… Chacun devra faire des efforts, mais on fera tout pour ne pas en passer par une réduction de l’offre culturelle, car on sait que la culture est un pilier important de notre vie et de notre territoire. »

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Plans de sobriété

Au Fil, tout est en discussion également : pour tenter d’enrayer la grève des budgets, l’équipe planche en ce moment sur un plan de sobriété, consistant à établir ce qui est acceptable ou non en termes d’économie d’énergie, tant pour les salariés, que pour les artistes et les publics accueillis. L’idée d’un plan de chauffe, qui consisterait à regrouper l’activité sur un temps donné, est également à l’étude… Mais il n’est pas exclu, si cela ne suffisait pas, de « réduire la voilure » sur l’année 2023.

Au Méliès, Paul-Marie Claret essaie d’envisager les choses sur le long terme : en renouvelant sa flotte de projecteurs pour passer à la technologie laser, le cinéma pourrait voir ses dépenses énergétiques réduites de 40%. « Sauf que l’investissement représente 450 000 euros… Et puis, cela ne règle pas tout. Le Méliès Saint-François, dont nous sommes locataires puisque le bâtiment appartient à la municipalité, est une passoire thermique. Il faudra donc que les discussions que nous avons avec les services de la Ville aboutissent. »

Pas d'augmentation des prix des billets

Reste un pas qu’aucun acteur culturel de notre territoire ne semble prêt à franchir : là où certains n’hésitent pas à répercuter l’inflation sur les tarifs des billets, les Stéphanois disent non. Par éthique, et pour rester en adéquation avec la sociologie de la ville, chacun tient à demeurer le plus accessible possible, conscient également que pareille mesure pourrait en outre s’avérer totalement contre-productive.

Face au danger que pourrait ainsi représenter les hausses des tarifs de l’énergie pour l’écosystème d’un secteur déjà fragilisé, la ministre de la Culture a annoncé il y a peu la mise en place d’une enveloppe de 56 millions d’euros pour soutenir les lieux de culture subventionnés, avant de préciser à nos confrères du Monde que ces derniers seront aidés « au cas par cas, avec un soutien partiel, attribué suivant l’état de la trésorerie des établissements, et la nature plus ou moins énergivore des bâtiments ». Une précision qui entretient le flou sur les conditions d’accès à ces aides, et sur leurs montants. Les structures non subventionnées, pourraient quant à elles bénéficier d’un autre fond, selon des critères d’attribution tout aussi flous.

La culture pour tous en danger

Et même bienvenues, ces aides n’auront de toute façon pas vertu de baguette magique. En outre, la problématique de l’inflation actuelle pose en effet bien d’autres questions aux responsables culturels. A Saint-Chamond, où l’équipe d’Atout Monde prépare d’ores et déjà la prochaine édition du festival La Rue des Artistes qui aura lieu en juin prochain, l’on subit dorénavant la hausse des cachets annoncés par les productions : « Notre événement défend des valeurs sociales fortes, d’accessibilité à la culture : nos places sont à 10€, les concerts du dimanche sont gratuits. Est-ce qu’aujourd’hui, les producteurs sont capables d’entendre ça, et de faire eux-aussi un effort ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est qu’il est aujourd’hui difficile de boucler une programmation avec le budget que l’on a. Si l’augmentation se poursuit, d’ici deux ans, la culture se résumera aux grosses machines qui font venir des grosses têtes d’affiche pour les gens qui ont encore les moyens », s’inquiète Cynthia Fort, assistante de production de l’événement.

Si l’augmentation se poursuit, d’ici deux ans, la culture se résumera aux grosses machines qui font venir des grosses têtes d’affiche pour les gens qui ont encore les moyens

Du côté du théâtre du Verso, enfin, Gilles Granouillet le directeur met quant à lui le doigt sur une question essentielle : « Chaque année, nous augmentons les salaires des gens qui travaillent avec nous. Cette année, pour leur permettre de conserver leur niveau de vie, il faudrait qu’on les augmente de 9%. Et on ne peut pas. Nos partenaires publics n’ont pas l’air de prendre cela en considération, et pourtant, la hausse des subventions me parait être la seule solution »

Sans solution, donc, quid de la tentation pour les professionnels de la culture de quitter le métier ? Quid de la possibilité pour la culture de proximité d’exister ? Quid de la continuité de l’art ? Des questions somme toute récurrentes, ces trois dernières années.

 

 

 

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