Le Ravissement de Iris Kaltenbäck : Bercée d'illusions

Mensonge / Pour son premier long métrage, Iris Kaltenbäck décortique la mécanique d’un mensonge : comment il se noue d’une manière naturelle et innocente, comment il s’amplifie de façon insensible et invisible jusqu’à un geste fatal. Une histoire de manque et d’amour traitée avec une étonnante proximité.

Jeune trentenaire venant d’achever inopinément son histoire de couple, Lydia s’investit dans son métier de sage-femme comme dans sa relation exclusive avec sa meilleure amie Salomé… laquelle vient d’apprendre qu’elle était enceinte. Un soir, Lydia rencontre Milos avec qui elle a une relation — sans lendemain pense-t-il. Au grand dam de la jeune femme qui voyait en ce chevalier servant un compagnon potentiel. Le recroissant quelques mois après alors qu’elle promène Esmé, la fille de Salomé, elle profite d’un quiproquo pour lui faire croire que Esmé est leur fille. Le mensonge ira loin. Trop.

Dès son titre, à la subtile polysémie, Le Ravissement instille l’idée d’une ambivalence : est-il ici question d’une fascination émerveillée ou bien d’un rapt ? À la vérité, les deux acceptions vont se retrouver et s’entremêler dans ce récit d’un fait divers narré lui aussi de manière double. Il est en effet porté par une voix off masculine qui ne s’incarne pas immédiatement (on découvrira qu’il s’agit de celle de Milos), offrant distance et contrepoint aux images qui, elles, suivent “en temps réel“ la ligne de vie de Lydia. Cette fausse dissonance entre le son et l’image est la clef de compréhension — d’empathie ? — du Ravissement, et permet d’en mieux apprécier la fin… qu’on ne dévoilera évidement pas ici. Car elle confère à l’histoire un regard nuancé par la complémentarité des points de vue, à la fois intérieur et périphérique, bien éloigné de cette froideur clinique et désincarnée souvent adoptée pour traiter “à distance“ d’un fait divers. Et se prémunir, surtout, d’être tenté par le romanesque. Mais le romanesque n’est pas forcément une contrefaçon de la vérité ni des sentiments — la preuve avec ce film.

À sa place

L’approche d’Iris Kaltenbäck rappelle celle de Truffaut pour La Femme d’à côté (1981), dans lequel la charge de la narration est aussi portée par un témoin indirect (et personnage secondaire de l’affaire), Madame Jouve. Il y a également une filiation “au second degré” via le cinéma de Desplechin, avec lequel elle partage le goût des fermetures à l’iris, des lettres lues face caméra ou des bandes originales aux accents mélancoliques.

Il convient d’ailleurs de souligner la remarquable partition d’Alexandre de la Baume : compositeur, il assume aussi le rôle de co-scénariste aux côtés de Naïla Guiguet, consultante  de plus en plus incontournable (on l’a notamment aperçue aux génériques des films de Louis Garrel, Thomas Salvador, Nadir Moknèche ou — tiens tiens — Desplechin). Ce qui pourrait passer pour des artifices de mise en scène participe au contraire d’une impression de grande simplicité.

Les faits délictueux sont à plusieurs reprises annoncés avant qu’ils ne se produisent — sans que l’on n’en connaisse précisément le détail — ; une atmosphère de malaise grandit progressivement et consolide le piège dans lequel Lydia va s’enferrer et entraîner Milos ou Salomé.

Si dans Le Ravissement la suggestion est le carburant du mensonge, celui-ci ne peut prendre sans un terreau fertile : le fait que chaque personnage éprouve un manque ou une absence qu’une illusion offerte sur un plateau lui permet de combler. Le menteur (la mythomane, en l’occurrence) est encouragé dans sa supercherie par la réceptivité presque complice de ses victimes.

Arborant un visage presque impassible, Hafsia Herzi renvoie ainsi à ses interlocuteurs une surface lisse sur laquelle ils projettent leurs propres attentes, désirs ou souhaits inavoués… jusqu’à ce que son édifice reposant sur du vent s’écroule. Tout le contraire de ce film d’une grande maîtrise malgré son indiscutable délicatesse.

★★★☆☆Le Ravissement de Iris Kaltenbäck (Fr. 1h37) avec Hafsia Herzi, Alexis Manenti, Nina Meurisse…

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