De la lune à la terre

Portrait - Les gens d'ici / Sylvain Pichon programme le cinéma Le Méliès à Saint-Étienne et revendique une relation de proximité avec ses spectateurs dans ce cinéma qui marrie art et essai grand public et cinéma plus pointu. Christophe Chabert

Ce jour-là, Sylvain Pichon est à la caisse du Méliès. En l’attendant, on assiste à une scène assez étonnante. Quatre spectateurs viennent voir "Des hommes et des dieux", reprogrammé dans le cadre du festival Télérama. Le film a débuté depuis dix minutes, et Sylvain refuse de leur vendre des billets, expliquant que cela dérangera les spectateurs déjà installés mais surtout, que prendre le film en cours de route, c’est comme «commencer un livre à la cinquantième page». Ça ne se serait probablement pas passé comme ça dans un multiplexe, et cela résume assez bien l’état d’esprit du Méliès. Faire découvrir le cinéma, mais pas à n’importe quel prix ; trouver un nouveau public, mais ne pas l’orienter vers des films qui pourraient le dissuader de revenir par la suite.

Une vision à long terme

L’histoire du Méliès commence en 1983, quand Alain Cramier — décédé en 2009, qui avait auparavant organisé les Rencontres cinématographiques de Saint-Étienne, reprend deux salles qui appartenaient un temps à UGC, avant de devenir un cinéma porno. En 1995, le Méliès, situé à l’époque dans un quartier assez excentré, envisage de déménager. Il s’installera sur la place Jean-Jaurès, à côté de l’Hôtel de ville, et en 2006, il passe de deux à quatre écrans, et se dote d’un café à l’arrière du cinéma. Un projet qui rappelle celui des MK2 à Paris ou du Comœdia à Lyon. La programmation aussi s’affine : Le Méliès est classé art et essai, recherche, jeune public et patrimoine, et les films présentés relèvent d’une soigneuse alchimie entre tous ces possibles cinématographiques. C’est ainsi que Sylvain Pichon envisage son rôle de programmateur : attirer peu à peu des spectateurs de la VF à la VO sur des films «porteurs» et en profiter pour leur donner envie de revenir sur des œuvres plus difficiles. Pour cela, Le Méliès dispose d’une arme efficace : un journal mensuel distribué dans ses salles mais aussi diffusé mano a mano à la sortie des salles de spectacle, dans lequel on trouve toute la programmation du mois, ainsi que des textes de qualité présentant les films et les événements à venir. Programmer à si long terme oblige donc à s’engager à tenir les films sur la durée, même quand ils ne marchent pas. Cela oblige surtout à les voir tous en amont (chose de plus en plus rare chez les exploitants, qui diffusent souvent les films sur les seuls conseils, peu objectifs, des distributeurs), et permet aussi de donner des conseils aux spectateurs.

Casser la glace

«Saint-Étienne, c’est un grand village, tout le monde se connaît. On est le boulanger du quartier, et on conseille les gens. J’aime le cinéma, j’essaie de communiquer ce plaisir, d’en parler à quelqu’un comme si j’en parlais à mes potes. C’est possible dans un cinéma à taille humaine. C’est comme montrer un film à un ami en DVD, mais nous, on le fait à l’échelle d’un cinéma». Cette philosophie, Sylvain Pichon essaie de la partager avec les autres salariés du Méliès. Il cite l’exemple d’un autre Sylvain, agrégé d’anglais qui ne voulait pas se lancer tout de suite dans l’enseignement, et qui a poussé la porte du Méliès pour devenir projectionniste. Son contrat d’apprentissage terminé, il prend aujourd’hui part à la vie du cinéma en organisant un ciné-club anglais mensuel où, après le film, les discussions entre spectateurs se font uniquement en anglais. Dans tous les cas, il s’agit de casser la glace et de rappeler qu’aller au cinéma est avant tout un plaisir, même si les films sont durs ou exigeants. Des nombreux partenariats que Le Méliès a noués avec les institutions culturelles de la ville (La Comédie de Saint-Étienne, l’Opéra ou le Musée d’Art Moderne), il en est un qui s’avère particulièrement original : à chaque sortie de film musical ("Gainsbourg", "Control" sur Joy Division, "People are strange" sur les Doors), le cinéma propose un billet unique avec Le Fil (la scène de musique actuelle) ; après la projection, un concert est organisé où les groupes de la scène locale reprennent des morceaux du groupe en question. À l’arrivée, la fréquentation du Méliès augmente, et Sylvain Pichon est pour la deuxième année consécutive nommé au Trophée de l’exploitant de l’année du Film français. Cela l’amuse plus qu’il s’en glorifie, persuadé de perdre cette fois encore face au tandem ami Marc Bonny / Ronan Frémondière du Comœdia à Lyon : «Je vais devenir le Poulidor du Film français. J’essaie de faire fructifier ce genre de distinction localement auprès des distributeurs, mais les vrais héros, ce sont les exploitants dans les villages ou dans les campagnes». Modeste, mais sincère !

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