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Le temps ne fait (toujours) rien à l'affaire
Par Vincent Raymond
Publié Mercredi 5 avril 2017
Photo : © DR
Panorama ciné avril / Coincé entre l’orgie de mars et les promesses de mai, avril joue l’éternel rôle de mois-tampon. Où l’on se rend compte qu’il ne fait pas toujours bon vieillir, et que sa propre vie vaut souvent mieux que celle des autres…
Un jour viendra où les spectateurs finiront par hurler leur lassitude devant la déferlante biopic. Un genre devenu mode trahissant — dans la triste majorité des cas — une pénurie de créativité, un manque d’ambition ou de foi dans l’écriture cinématographique ainsi que le désir régressif de se réfugier dans les bras chauds de célébrités à la destinée édifiante ; un appât pur sucre, enfin, pour comédiens gourmands de récompenses. Se revendiquant de personnes authentiques, ces hagiographies filmées n’aiment pourtant rien tant que prendre des libertés avec l’authenticité. Preuve en est avec l’attendu Django de Etienne Comar (26 avril). Campé par un Reda Kateb appliqué, impeccable aux six-cordes, cet énigmatique portrait de Django Reinhardt se focalise sur la période de l’Occupation et donne l’impression de vouloir plus qu’exonérer le guitariste jazz de son insouciance d’alors en le transformant en proto-résistant. Jusqu’où un cinéaste peut-il laisser voguer son imagination sans travestir l’Histoire, fût-ce en invoquant une licence artistique de Mardi-gras ?
Gold de Stephen Gaghan (19 avril) pose un autre problème : on suit le parcours d’un chasseur d’or poissard ayant découvert un filon extraordinaire en Indonésie, devenant du jour au lendemain la coqueluche de Wall Street… avant de choir pour escroquerie. Le genre de conte de fée sur l’obstination et le succès dont les Étasuniens raffolent, dont on se moque ici comme d’une pépite de pyrite de fer. Mauvaise pioche pour l’interprète principal Matthew McConaughey, mal remis de son Oscar, qui se perd dans un jeu à la Tom Cruise, tout en moulinets de bras.
Pas de quoi rire
Les vieilles gloires de la comédie marquent également le pas, ou plutôt tournent en boucle. Fidèle aux bons sentiments et aux belles valeurs, Jugnot se cyanose dans C'est beau la vie quand on y pense (12 avril), morne buddy movie aux côté du jeune François Deblock, tristement faux. Clavier offre avec le tendancieux À bras ouverts de Philippe de Chauveron (5 avril), un téléfilm tartuffe et convenu, davantage à gloire du patriarcat que de la tolérance. Dominique Farrugia choit dans le machisme graveleux pour Sous le même toit (19 avril), pathétique prolongation potentielle de Delphine 1-Yvan 0 n’ajoutant rien à sa gloire. Reste le lunaire Pierre Richard, dont les étincelles poétiques ou les paillettes burlesques arrachent de tendre souvenirs ainsi que quelques maigres sourires dans Un Profil pour deux de Stéphane Robelin (12 avril), simili Cyrano contemporain.
Au vent en emporte le temps
Heureusement, il reste les films qui contemplent le temps dans sa durée et nous en font mesurer les effets. Comme La Consolation de Cyril Mennegun (5 avril), exercice de style radical autour de la question du dépouillement, d’un retour sur soi par l’ineffable à base de longs plans-séquences contemplatifs et de dialogues ascétiques. Raúl Arévalo, dans La Colère d’un homme patient (26 avril) en fait le ferment d’un thriller dont le héros attend longtemps avant de se faire froidement justice. Moralement discutable, ce polar alambiqué a été vainqueur aux Goya cette année (meilleurs film, acteur et jeune réalisateur). Plus au nord, quelque part entre Lady Chaterley et Loin de la foule déchaînée, The Young Lady de William Oldroyd (12 avril), montre que le temps peut renverser les ordres établis. On y suit Katherine, jeune oie innocente, mal mariée à un Lord brutal dans l’Angleterre rurale victorienne, qui peu à peu va découvrir ses pulsions et prendre le contrôle de son domaine. Minimaliste, mais brillant. Et subtilement pervers.
Parce qu’il est l’outil privilégié des suivis de processus et donc de la variation dans le temps, le documentaire boucle naturellement ce panorama. Qu’il s’agisse de partager pendant un an le quotidien d’une institution culturelle française majeure avec L'Opéra de Jean-Stéphane Bron (5 avril) — prodigieusement intéressant, même s’il n’égale pas Relève, tourné au même moment. Ou d’accompagner comme Stéphane De Freitas avec À voix haute - La Force de la parole (12 avril) de jeunes étudiants du “9-3” dans un concours d’éloquence, de leurs balbutiements maladroits à leur triomphe de rhéteurs. C’est plus pour l’initiative qu’il révèle, et son suspense, que pour sa qualité cinématographique que ce film mérite le regard. Enfin, Régis Sauder nous propose un Retour à Forbach (19 avril), sur les traces de son enfance mosellane. Venu pour solder la maison de famille, le cinéaste arpente l’ancienne cité minière, désormais dévorée par le chômage et gagnée par les votes extrêmes. Le pèlerinage, amer, montre que dans cette région autrefois occupée, les mémoires sont courtes. Glaçant, ce film aura la vertu de les rafraîchir…
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