"Last Words" : Cinema inferno

Après ses documentaires portant sur son autre métier-passion (Mondovino, Résistance naturelle), le cinéaste-sommelier Jonathan Nossiter livre une fiction crépusculaire sur notre civilisation annoncée comme son testament cinématographique. C’est ce qu’on appelle avoir le devin triste…

La Terre, en 2085. Alors que le désert a recouvert la quasi-totalité de notre planète frappée par une épidémie, l’un des ultimes survivants, Kal, découvre à Paris d’étranges bobines de plastique. Elles le conduiront, après un passage en Italie, à Athènes où subsiste un reliquat d’humanité. Ensemble, ils seront les derniers à (re)découvrir la magie d’un art oublié de tous : le cinéma…

Est-ce un effet d’optique, ou bien le nombre de films traitant de catastrophes à l’échelle mondiale ne subit-il pas une affolante inflation — et encore, l’on parle de ceux qui sortent (Light of my Life, Peninsula…), vont sortir (Sans un bruit 2…), en se doutant pertinemment que la Covid-19 et la pandémie vont en inspirer une kyrielle d’autres, à des degrés plus ou moins métaphoriques. Appartenant à la cohorte des prophétiques et des moins optimistes (prouvant par cela à quel point ce natif du Nouveau Monde a épousé les mœurs de l’Ancien), celui de Nossiter assume sa radicalité ; il se paie même le luxe d’être du fond de sa tragique et définitive conclusion, affichée dès son titre, le plus réussi.

Retour inverse de Lumière

D’optique, il est en effet question de bout en bout ici avec cette “projection“ dans un futur où toutes les cultures ont disparu. Où les sols sont devenus infertiles (et les êtres inféconds), les humains retournent peu à peu à l’état sauvage, oubliant jusqu’au langage — alors le cinématographe, pensez ! En rencontrant un ermite centenaire vivant reclus dans les décombres et les trésors de ce qui doit être la Cineteca de Bologne — celle qui organise un festival de patrimoine justement baptisé Il Cinema Ritrovata, “le cinéma retrouvé“ — Kal va non seulement avoir accès au déchiffrement des bobines mystérieuses, mais également à la possibilité d’en fabriquer de nouvelles en acétate de cellulose. En détaillant devant la caméra ce mode opératoire, Nossiter revient à la genèse du support sur lequel s’imprime l’image photographique animée des premiers temps. Une démarche d’autant plus signifiante aujourd’hui que la digitalisation quasi-généralisée et surtout rapide de l’ensemble du secteur font passer ce “langage“ de l’analogique, artisanal, pour une langue morte à de nombreux spectateur. Or, à la différence des appareils numériques, le procédé traditionnel fonctionne toujours sans électricité. Et la pellicule demeure le support de référence lorsqu’il s’agit de conserver un film par-delà le temps.

Il n’empêche que le cinéma ne peut sauver l’humanité d’elle-même ni de ses travers. Ce que Nossiter montre, c’est surtout notre capacité globale à fabriquer des ruines et des vestiges. Ou du moins à laisser des traces de notre passage ; entre orgueil et vanité, celles-ci sont vite balayées par les sables et le temps ! Quant aux rares qui mériteraient d’être partagées, notamment les beautés sauv(egard)ées par la caméra, elles demeureront à tout jamais prisonnières de leur réceptacle, sans plus jamais trouver de destinataire pour les contempler. Alors, allons au cinéma pendant qu’il est encore temps.

Last Words est flanqué de l’habituel avertissement prévenant que « des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs ». Sans doute la commission de classification a-t-elle été interpelée par la séquence où un personnage intersexe se caresse ostensiblement son entrejambe dénudé, ou bien parce que la sœur de Kal est mise à mort d’une manière sauvage au début du film. Pour brutales qu’elles puissent paraître à certains publics, ces images sont-elles moins choquantes que l’hypothèse de fin du monde portée par ce film ?

★★★★☆ Last Words (It.-Fr.-É.-U., avec avert. 2h06) De Jonathan Nossiter avec Nick Nolte, Kalipha Touray, Charlotte Rampling…

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