Loup y es-tu ?
Article publi-rédactionnel / Au croisement du théâtre et du mouvement, « Azaline se tait » dévoile l’histoire sensible d’une enfant condamnée à la nuit, qui nous alerte sur l’urgence de libérer la parole. Une forme singulière pour un récit nécessaire, à découvrir au Théâtre le Ciel.
En 2024, la CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) rappelle une réalité glaçante : trois enfants par classe sont victimes d’inceste. Un chiffre qui dit l’ampleur d’un tabou encore solidement ancré. C’est précisément pour en fissurer le silence qu’Émilie Le Roux choisit de mettre en scène le texte de Lise Martin, Azaline se tait.
En suivant Azaline, la metteuse en scène interroge une société qui juge « sensible » d’aborder un sujet qui menace pourtant celles et ceux à qui l’on destine ce spectacle. Azaline joue dans la cour d’école, mais peu à peu, ses jeux inspirés de célèbres contes alertent ses camarades : un prédateur rôde dans les nuits de la petite fille.
Lire entre les contes
Adressée au jeune public, la proposition déploie dans une finesse rare la violence de l’inceste, sans jamais le nommer. Le récit s’appuie sur les contes et leurs figures – Cendrillon, Blanche-Neige, le loup – pour créer plusieurs niveaux de lecture. Enfants comme adultes peuvent y voir un jeu, un récit de maltraitance ou un conte sombre. Liront-ils la faille, la morsure qui habite Azaline ?
La forme, loin d’être écrasée par le sujet, s’affirme avec force, servie par le dispositif en tri-frontal. La création musicale enveloppe le public grâce à une spatialisation sonore offrant une expérience physique des énergies qui traversent la pièce.

Accompagner la parole
La gravité du sujet s’accompagne d’un dispositif d’accueil minutieusement pensé. En plus d’un temps de discussion prévu à l’issue de chaque représentation, un protocole spécifique assure que la parole, si elle se libère, puisse être recueillie avec justesse. Les équipes du théâtre et les enseignant·es sont formé·es en amont, des professionnel·les de la protection de l’enfance assistent aux séances et restent disponibles pour recevoir les témoignages éventuels dans un espace dédié. Chaque spectateur et spectatrice repart enfin avec des ressources et contacts utiles. L’enjeu n’est pas d’encadrer la réception, mais de garantir que l’art, en ouvrant une brèche, ne laisse personne seul face à ce qui pourrait surgir.
L’enfance au centre
Avec Azaline se tait, la compagnie les veilleurs poursuit son engagement : parler à toutes et tous, dès le plus jeune âge, sans jamais renoncer à l’exigence artistique ni à une haute considération de la pensée des enfants. Leur théâtre, laboratoire social et lieu de récits intimes, résonne pleinement avec la saison du Ciel, « Enfance Puissance ! », qui revendique une création à hauteur d’enfance et fait entendre des voix fortes d’enfants et d’adolescent·es. Un cycle engagé, où se joue peut-être l’une des missions essentielles de l’art : éclairer ce qui demeure dans l’ombre, et rêver de ce que le monde pourrait être.
Azaline se tait
De Lise Martin, mise en scène par Emilie Le Roux, les veilleurs [compagnie théâtrale]
Le Ciel - scène européenne pour l'enfance et la jeunesse
22 rue du Commandant Pégout, Lyon 8ème
Vendredi 9 janvier à 19h (durée 1h10)
Plus d'infos sur le spectacle sur le site du théâtre Le Ciel

