Exploration sucrée, goût amer
Bande dessinée / Dans la bande dessinée "Une insatiable envie de douceur", Fiammetta Ghedini invite à penser notre rapport au sucre, au creux d'une narration croisant récit intime et documentaire. L'autrice sera à rencontrer à la médiathèque du Bachut le 16 décembre prochain.
Photo : Une insatiable envie de douceur de Fiammetta Ghedini (aux éditions Dargaud)
Pourquoi les rats préfèrent-ils la cocaïne au sucre ? Comment le sucre est-il devenu un des composants inévitables des régimes alimentaires du monde entier ? Et surtout, est-ce que c'est grave ? Ce sont toutes les questions (et bien d'autres) que se pose humblement Fiammetta Ghedini, docteure en sciences cognitives et experte en communication scientifique, dans la bande dessinée qui louvoie entre documentaire et récit biographique Une insatiable envie de douceur, aux éditions Dargaud.
Faut-il sucrer les fraises ?
À tout juste 31 ans, l'épilepsie débarque dans le quotidien de Fiammetta Ghedini, les crises se multiplient, la laissant hagarde et confuse. En proie à une crise existentielle, elle décide en 2016 de trouver un remède à son mal, se frottant aux mille et une théories plus ou moins valables, disséminées sur le net. Méditation, usage du cannabis, arrêt de la caféine mais aussi et surtout, adoption du "régime cétogène". Ce dernier préconise une diète à base de graisses et surtout, une diminution - confinant presque à l'arrêt total - du sucre. D'après plusieurs études concordantes, après quatre mois de ce régime, 50% de ses usagers épileptiques voient leurs crises diminuer de plus de 90%.
Fiammeta Ghedini essaie donc ce remède miracle, et, non seulement elle témoigne d'une amélioration de son sommeil, mais aussi d'une baisse significative des crises d'épilepsie. Victoire ? Pas entièrement, car le sucre lui manque au quotidien. Celui qu'on consomme par convention sociale (au bar, au restaurant) mais aussi celui qu'on mange pour trouver du confort, seul·e, chez soi. De plus, il est bien difficile de réduire sa consommation en sucre, alors que celui-ci est présent partout, notamment sous sa forme transformée. Alors, Fiammeta Ghedini se lance dans une quête, celle de percer à jour les nombreux mystères du sucre, et d'en restituer les résultats en BD. Elle définit tous les membres de la famille du sucre : le lactose, le fructose, le glucose et le sucrose, explore la dimension addictive, physiologique et psychologique du sucre. Elle se permet même quelques interprétations libres, reprenant les mots de la poétesse canadienne Marion Woodman ; « la fringale pour le sucre est en réalité un désir d'amour et de douceur ». Elle prend aussi le temps de nous emmener dans l'histoire du sucre, de la canne à sucre, consommée en Nouvelle-Guinée il y a plus de 8 000 ans au monde arabe, au VIIe siècle, avant de devenir l'une des principales cultures des empires coloniaux (Brésil, Caraïbes...), favorisant l'expansion du commerce triangulaire. Elle chemine doucement, passant d'une époque à une autre, va jusqu'à narrer les conditions de vie et de travail actuelles dans les batey, les campements dans lesquels vivent les coupeurs de cannes, en République dominicaine et à Cuba.
Tout sucre, tout miel
C'est par une multitude de rencontres, restituées ou fantasmées, dans des paysages variés, de la bouche de métro parisienne aux forêts luxuriantes de Porto-Rico que l'autrice invoque une galerie de personnages hauts en couleur : des figures historiques, des ami·es, des expert·es interviewé·es et même l'incarnation du sucre, toute de blanc vêtu, ou le drôle de rat Pavlov, décidément très gourmand. Un défilé plaisant, souvent drôle qui retranscrit avec poésie - et sans pour autant perdre de son sérieux - les multiples facettes du sucre. Elle conclut en insistant sur l'hégémonie du produit et le pouvoir de ses lobbies, mettant en exergue ses conséquences désastreuses sur la santé, notamment pour les plus précaires et les populations issues des pays en développement. On ne se servira pas un verre de soda à l'issue de cette lecture. Au moins pendant une heure.

Une insatiable envie de douceur de Fiammetta Ghedini (aux éditions Dargaud) ; 23, 95€
Rencontre mardi 16 décembre 2025 à la médiathèque du Bachut (Lyon 8e) ; entrée libre

