« Quelles règles du jeu ? »

Entretien / Jean-Christophe Hembert poursuit, après son adaptation du Capitaine Fracasse, sa quête de grand spectacle théâtral avec un Wendy et Peter Pan déniaisé, outrancier, ludique et provocateur, où James M. Barrie croise aussi bien Brecht que Peaky Blinders. Propos recueillis par Christophe Chabert, le 20 décembre à Lyon.

Qu’est-ce qui, dans la pièce, reste du texte de James M. Barrie ?

Jean-Christophe Hembert : Presque tout. Il faut comprendre que Barrie ne s’est pas mis à sa table à 45 ans pour écrire une histoire pour le jeune public. C’est quelqu’un qui a une histoire complexe : il vient d’Écosse, d’une famille très modeste avec une mère très présente. Ils étaient huit enfants et à 6 ans, son frère préféré meurt dans un accident de patin à glace sur un lac gelé. Il ressent alors l’intrusion du tragique dans le ludique. Deuxième traumatisme : sa mère entre en sidération et ne s’occupe plus de ses enfants, à tel point que lui s’habille avec les habits de son frère pour lui faire croire qu’il est encore vivant. Ensuite, il est devenu un auteur à succès en Angleterre, une sorte de Sacha Guitry. Entre 40 et 50 ans, il rencontre une femme dont il prétend qu’elle est veuve, paie ses factures et s’achète un statut de quatrième enfant. Il s’installe dans la chambre des autres enfants et passe ses journées à jouer avec eux aux pirates et aux indiens. De ces jeux-là naît un personnage qui s’appelle Peter Pan qu’il met dans un premier récit, L’Oiseau blanc, puis dans une pièce de théâtre où il écrit tellement de didascalies que ça devient un roman. C’est de ce roman dont nous sommes partis avec Loïc Varraut. Dans le texte initial, Tinker Bell, ce n’est pas la Fée Clochette : elle est grosse, elle picole, elle veut tuer Wendy et son seul texte, c’est « You silly ass ! ». C’est comme le Neverland : traduire ça par « pays de l’imaginaire », c’est du révisionnisme. Si on a déjà fait une dépression ou pris des drogues, le Neverland, c’est ce pays dont on ne revient pas ; or, Wendy y va après avoir pris une poudre et après un traumatisme familial… Sous une forme très ludique, Barrie dégueule ses névroses et crée des concepts de psychanalyse avant la psychanalyse : quelles règles du jeu se met-on dans l’existence pour la rendre supportable ?

Dans le spectacle, vous revenez à l’origine du récit et en même temps, vous le présentez presque comme une suite, avec des personnages assez vieux…

Il y a une mise en abîme : comme si les enfants avec qui il a joué rejouaient la pièce plus tard. Ça fait aussi écho au métier d’acteur. Quand j’ai lancé le projet, la guerre en Ukraine s’est déclarée ; on jouait le spectacle précédent, Fracasse, à Bordeaux, et je me demandais quel sens cela avait de mettre des costumes, déplacer des décors… Mais les spectateurs m’ont dit ce soir-là que ça faisait du bien de ne pas regarder BFM TV. Il y a une petite ode au théâtre là-dedans : c’est futile mais c’est essentiel de jouer, dans tous les sens du terme.

Mettre en branle une machinerie théâtrale, on a l’impression que pour vous c’est revenir au geste initial de Barrie…

J’essaie de mettre en scène comme Barrie jouait aux indiens et aux pirates. Il construit un monde et joue à l’intérieur : le jeu est plus intéressant que la vie. En tout cas, dans le roman, la famille anglaise n’est pas normale du tout, les parents font leurs comptes en économisant sur la rougeole pour garder Wendy, la nurse est un chien… Barrie a refusé les règles du jeu social et leur a préféré les règles du jeu dans le Neverland.

Créer de l’aventure à l’intérieur d’une chambre pour enfants, idée première de la scénographie, rappelle Max et les maximonstres

Oui. Quand tu as du bois dans ta chambre lorsque tu es enfant, si tu le fixes, au bout d’un moment, tu vas voir des yeux. C’est le principe de Max et les maximonstres ou de Monstres et Cie… On ne part pas au Neverland, mais le Neverland vient dans la chambre. Les éléments de décor se transforment : un mur peut devenir un crocodile… C’est la foi que j’ai dans les conventions du théâtre.

Wendy et Peter Pan
Au Radiant Bellevue
Mardi 16 janvier à 20h30

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