Wrong

Quentin Dupieux a de la suite dans les idées : après Steak et Rubber, Wrong poursuit son exploration d’un univers absurde dont il invente, avec le plus grand sérieux, les règles délirantes, tout en creusant une vraie vision du monde moderne. Et s’il était un de nos meilleurs cinéastes ? Christophe Chabert

Au début de Wrong, il y a un camion qui brûle et un pompier qui défèque au milieu de la chaussée. Une scène plus loin, un réveil passe de 6h59 à 6h60. Plus loin encore, un palmier se transforme en sapin. Et, entre autres situations défiant la logique, un jardinier revient d’entre les morts, il pleut à torrent à l’intérieur d’un bureau mais il fait soleil à l’extérieur… On se souvient qu’au début de Rubber, le précédent film de Quentin Dupieux, un flic se plantait face caméra pour expliquer que le cinéma était truffé de «no reason», ces moments où le spectateur doit mettre de côté la crédibilité des choses et accepter sans se poser de questions de se laisser raconter une histoire improbable. Mise en pratique avec l’odyssée de Robert, un pneu tueur télépathe et amoureux ; mais Rubber était aussi marqué par de fréquents retours à la «réalité» où des spectateurs commentaient l’action avant de mourir empoisonnés.

Wrong n’a pas besoin de cette béquille un peu maladroite et, en cela, marque un pas de géant dans la carrière, courte mais déjà passionnante, de Dupieux : il suit la quête éperdue de Dolph (Jack Plotnick, parfait en dépressif éberlué) à la recherche de son chien disparu, sans aucune forme de distanciation, laissant l’humour absurde se déverser à foison dans son récit.

Chienne de vie !

Wrong est un peu le Buffet froid de Dupieux, le film où il invente des règles complètement folles mais les applique avec le plus grand sérieux. C’est le propre de l’acteur comique, ne jamais rire à l’écran, mais cela marche aussi pour un cinéaste : tout dans Wrong est traité avec la même application, quel que soit le degré d’incongruité de ce qui s’y déroule. Investissant l’espace américain pour mieux s’en abstraire, Dupieux peint un monde qui ressemble à la version monstrueuse et aberrante du nôtre, où l’on continue à aller travailler après son licenciement par simple plaisir et où les gourous new age prônent l’amour fou pour les animaux de compagnie… D’ailleurs, le cinéaste croise en chemin le grand thème du cinéma moderne, d’Antonioni à Wenders en passant par Tati : l’incommunicabilité. Sa version, très iconoclaste, se résume à ce dialogue entre Dolph et son voisin qui, à seulement un trottoir de distance, préfèrent se parler par portables interposés. Après avoir révolutionné les méthodes de tournage avec Rubber (grâce au Canon 5D, dont il est un véritable maître), Dupieux prouve qu’il a bien l’intention de révolutionner le cinéma tout entier. Il est assez dingue pour y arriver.

Wrong
De Quentin Dupieux (Fr, 1h34) avec Jack Plotnick, Eric Judor…

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