À voir
★★★☆☆Cow
D'une mise bas à l'autre, Andrea Arnold accompagne sans commentaire Luma, une vache laitière pensionnaire parmi de nombreuses autres au sein d'une exploitation agricole britannique. Où l'on saisit pleinement le concept d'élevage “moderne“...
Un cycle de vie. Mais quelle vie ? Celle, soumise au process industriel, répondant à un protocole de rentabilité et à la compétitivité d'un organisme bovin transformé en machine au sein d'une usine produisant du lait et des veaux. Andrea Arnold s'abstient à raison de voix off parce que ses images se passent d'explications ou d'ajouts : filmant Luma “à hauteur de garrot”, elle nous place comme elle en position d'infériorité, de sujétion muette par rapport à ses soigneurs, contrainte de suivre la longe. Luma est-elle maltraitée ? On l'entretient a minima tant qu'elle est rentable, on s'en débarrasse lorsque son obsolescence est avérée. Si Cow dénonce par l'exemple un système, il ne montre pas d'actes de barbarie ni de cruauté volontaires (puisque les employés de la ferme sont eux aussi réduits à agir de manière mécanique) ; il donne en revanche à réfléchir sur les conditions de vie animale dans les grandes exploitations.
Documentaire de Andrea Arnold (G.-B., 1h34)
★★★☆☆Annie Colère
Début 1974. Ouvrière en milieu rural, Annie découvre l'existence du MLAC (Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et de la Contraception) qui l'aide à avorter certes illégalement, mais en sécurité. La mort de sa jeune voisine, victime d'une “faiseuse d'anges“ va décider Annie à s'engager auprès du collectif, des femmes, et surtout pour que la loi change. Quitte à faire des remous dans sa famille...
Reconstitution impeccable — dans l'esprit comme le décor — des années de militantisme et de lutte des femmes en faveur du droit à disposer de leur corps, Annie Colère permet à Blandine Lenoir de poursuivre dans la veine d'un cinéma au féminin très original (après Zouzou et Aurore) où les protagonistes incarnent pleinement des questions de société, au-delà de l'anecdote ou de la comédie. Si ici la dimension didactique peut parfois sembler trop appuyée (le mode opératoire des réunions, des opérations est longuement détaillé aux nouvelles venues), il rend compte d'une réalité historique où les militantes faisaient œuvre de pédagogie pour transmettre l'information jusqu'alors hermétiquement conservée par les “sachants“ et autres mandarins. Par ricochet, le message passe sans filtre et en douceur (si l'on peut dire) grâce à un aréopage d'actrices bien choisies, dont Laure Calamy dans le rôle-titre. Ce qui s'avère fort utile en nos temps troublés.
De Blandine Lenoir (Fr., 1h59) avec Laure Calamy, Zita Hanrot, India Hair...
★★★☆☆Le Lycéen
Âgé de 17 ans, Lucas voit sa vie brutalement dévier de son axe tranquille lorsque son père périt dans un accident de voiture. Pour encaisser le choc, il part quelque temps chez son frère à Paris, où de nouvelles rencontres initiatiques lui font un temps oublier sa peine. Mais il n'en a pas fini avec son deuil...
Semi-fiction, semi-autobiographie, Le Lycéen n'est pas forcément un film aimable de prime abord de par son sujet funèbre et l'apparent bégaiement qu'il constitue dans la filmographie de son auteur : les histoires d'ados paumés ou de jeunes gars endeuillés qui se flairent ici ou là avant de se trouver avec des meûssieux, on en a déjà vus deux ou trois. Il y a malgré tout ici quelque chose de singulier qui finit par rattraper : est-ce l'implication personnelle d'Honoré devant la caméra, dans le rôle du père se tuant dans un accident de voiture, réplique d'un événement intime vécu dans sa propre jeunesse ? Elle constitue en tout cas une porte pour entrer dans ce film d'hiver couleur mauve, entre impudeur et retenue, hors du temps comme souvent mais cependant ancré aujourd'hui ; bref, paradoxal à son image. Bénéfice collatéral : Juliette Binoche en tragédienne contemporaine et la découverte d'un jeune comédien, Paul Kircher interprète du héros ayant pour frère Vincent Lacoste — d'autant plus crédible dans cet emploi qu'il sort lui aussi des canons physiques du jeune premier.
De Christophe Honoré (Fr., avec avert., 2h02) avec Paul Kircher, Vincent Lacoste, Juliette Binoche...
★★★☆☆Le Torrent
Après avoir découvert l'infidélité de sa jeune épouse Juliette, Alexandre demande des comptes à cette dernière. Mais celle-ci quitte le domicile conjugal et périt accidentellement. Craignant d'être accusé de sa mort, Alexandre convainc sa fille aînée Lison de mentir en sa faveur. L'enquête des gendarmes et les soupçons du père du Juliette rendent la vie de Lison intenable...
Mais qui a tué Juliette ?... L'Ombre d'un doute... Le Faux coupable... Chacun de ces titres aux échos éminemment hitchcockiens aurait pu constituer une alternative à celui choisi par Anne Le Ny pour ce qui tient du thriller psychologique et familial. Partant en ruisseau tranquille dans les hauteurs vosgiennes, mutant en impétueux torrent avant d'achever sa course en lac étale — celui de Gérardmer, cité à la rurbanité idéale — cette intrigue façon chat et souris nécessitant de se dérouler en vase clos repose sur la délicate alchimie de son interprétation. Rien à redire de ce côté-là : face à André Dussollier, en père envahi par le doute mais toujours maître des apparences, José Garcia en innocent embarqué dans une spirale infernale est excellent — on regrette que trop peu de cinéastes aient moins d'audace que Costa-Gavras ou Anne Le Ny lorsqu'il s'agit de rôles suscitant de l'inquiétude comme de l'intranquillité. Enfin, dans la peau de Lison, Capucine Valmary (vue notamment dans le court Romance, abscisse et ordonnée) tire largement son épingle du jeu et s'offre ici un beau tremplin.
De Anne Le Ny (Fr., 1h41) avec José Garcia, André Dussollier, Capucine Valmary...
À la rigueur
★★☆☆☆ Mourir à Ibiza (Un film en trois étés)
Lena débarque à Arles pour retrouver Marius, croisé deux ans plus tôt. Logeant chez lui en son absence, elle rencontre Maurice et Ali avec qui elle sympathise. Entre histoire d'amour maladroite et d'amitié chaloupée, la petite bande se reverra l'été suivant à Étretat, puis celui d'après à Ibiza...
Attention, concept ! Le premier long métrage signé par des étudiants de la CinéFabrique (école lyonnaise de cinéma) a effectivement été tourné durant trois étés et cela se ressent... mais dans le bon sens du terme. Car à la douloureuse maladresse technique du premier segment, trahissant de la fragilité à tous les postes, succèdent deux volets plus maîtrisés (à la lumière, la narration, au son...) explorant des ambiances différentes tout en donnant aux comédiens plus d'assise pour approfondir chacun leur personnage : l'épisode normand (sans doute le plus réussi) joue une carte romehrienne en moins littéraire ; le dernier se décale vers la comédie musicale tendance. Le fait qu'il s'agisse d'une œuvre d'école, avec les imperfections inhérentes à tout exercice d'application, permet de justifier cette hétérogénéité globale... d'autant plus marquée qu'elle se nourrit de l'évolution physique des protagonistes entre 2019 et 2021. Les réalisateurs ont déjà compris qu'au cinéma il faut faire d'une somme infinie de contraintes, des atouts...
De Anton Balekdjian, Mattéo Eustachon & Léo Couture (Fr., 1h47) avec Lucile Balézeaux, César Simonot, Mathis Sonzogni...