L'Universel féminin «nippo-toscan»

Dans une mise en scène d’Alain Garichot, l’Opéra-Théâtre de Saint Etienne présente Madame Butterfly de Giacomo Puccini du 25 au 29 avril. Attention chef d’œuvre ! Les propos d’avant spectacle de Florence Badol-Bertrand vous donneront les meilleures « clefs d’écoute » actuellement disponibles sur le marché… Sur simple présentation de votre billet !

Certains artistes inventent des concepts ou des langages abstraits pour communiquer avec leurs congénères, d’autres s’insèrent dans le paysage de la création humaine de manière pérenne et immédiate, évidence d’un génie universel qui embarrasse parfois certains esprits chagrins. C’est le cas du maestro de Toscane, inégalé et bouleversant, érudit et populaire, élégant et sauvage, intellectuel et brutal, génial créateur de mélodies qui transcendent les classes sociales : inclassable donc ! Puccini, dans la psyché collective est devenu synonyme d’opéra et l’on s’étonne à peine en 1990, d’entendre des supporters parler de «l’hymne de la coupe du monde de football», alors qu’ils font référence à Nessun Dorma, extrait de Turandot. Quelle consécration pour un art que d’aucuns prétendent élitiste, et quel merveilleux compliment pour celui qui fut le précurseur de la musique de film hollywoodienne. Le plus illustre des véristes s’impose en buste paternel d’un Ennio Morricone, d’un Vladimir Cosma ou d’un John Williams... Issu d’une famille de musiciens de la délicieuse ville de Lucca, il fut, dès son jeune âge, en contact avec l’oeuvre de Verdi, à l’école de musique de sa ville natale tout d’abord, puis au Conservatoire de Milan où il fit ses études. Très vite, il sympathisa avec un groupe d’intellectuels se qualifiant eux-mêmes de façon prémonitoire de «bohème» - Boito, Faccio, Praga -, le compositeur Catalani qui venait de se faire un nom dans le monde de l’opéra, Ponchielli dont La Gioconda venait de connaître un succès retentissant.

Puccini trouve enfin son style

Il écoute tous les opéras des compositeurs français - Gounod, Bizet, Thomas et, bien sûr, Massenet - se forme à l’esthétique wagnérienne. Après le demi-échec de ses deux premiers opéras Le Villi et Edgar, Puccini trouve enfin son style avec Manon Lescaut : il fusionne la technique wagnérienne du leitmotiv avec le concept italien du drama in musica, dont l’épine dorsale demeure un sens unique et inné de la mélodie. Il peaufine également un concept qui le préoccupa longtemps, celui du «coup de théâtre». Lorsqu’il achève, en 1904, de mettre en musique Madame Butterfly - pièce de David Belasco qu’il a vue à Londres - Puccini jouit depuis longtemps d’une grande notoriété. Il a déjà composé La Bohème et Tosca. La mode « orientaliste » bat son plein : Madame Chrysanthème de Pierre Loti - sur une trame identique - a connu un vif succès, et à Knightsbridge on s’encanaille dans les salles des ventes en achetant des éventails de geisha, fantasmes de lointains comptoirs…Puccini avec ses librettistes Giacosa et Illica, réduit l’intrigue de Madame Butterfly à l’expression de sa plus terrible cruauté. Cio-Cio San, geisha de Nagasaki s’éprend de Benjamin Franklin Pinkerton, lieutenant de marine des Etats Unis d’Amérique. Le « mariage à la Japonaise », risée des marins de cette époque, est au mariage ce que Las Vegas est à la spiritualité. Pour Pinkerton, ce simulacre « d’union » est l’occasion de pimenter une passade délicieusement exotique.

Une étrange «part féminine»

Mais, pour Cio-Cio San, l’engagement est total ; elle renie famille et traditions, commence déjà à rêver d’Amérique. Pinkerton part. Elle met au monde « leur » enfant. Elle l’attend pendant plusieurs - très longues - années, sans relâche. Elle espère encore et toujours et dément tous les oracles. Lorsqu’il revient, accompagné d’une Madame Pinkerton, «tout à fait» américaine, elle renoue avec l’honneur des siens, confie l’enfant à l’épouse officielle, et se donne la mort par le sabre de son père. Dont acte ! Giacomo Puccini serait-il le premier grand féministe du XXe siècle ? On est en droit de se poser la question… Comment interpréter cette étrange prédisposition à s’identifier à des héroïnes et jamais des héros? Les femmes sont victimes de la cruauté des hommes au moins autant que de leurs propres chimères. Pourtant, qu’elles soient frappées par la maladie (Mimi), par la soif de pouvoir des hommes (Tosca), par un destin contraire (Manon), le maître trouve toujours les plus belles mélodies, les plus belles harmonies, les accords les plus célestes pour leur donner la parole et la vie. Les personnages masculins brillent par leur muflerie (Pinkerton), leur naïveté (Caravadossi), leur couardise (Des Grieux), leur égocentrisme (Rodolfo). Cette galerie de portraits masculins est l’une des plus tristes de l’histoire de la musique. Lourde et terrible responsabilité des interprètes de cette musique où les seules fautes sont dans le tréfonds des âmes !
Alain Koenig

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