Nicolas Offenstadt : « il y a toujours en partie, deux Allemagnes »

Nicolas Offenstadt : le pays disparu, sur les traces de la RDA

Goethe-Institut

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Histoire / Spécialiste des questions mémorielles et notamment de la Première Guerre mondiale, l’historien Nicolas Offenstadt a enquêté sur la RDA pour y trouver les traces de ce pays absorbé par une réunification à sens unique. Passionnant,  mais surtout indispensable pour comprendre la première puissance européenne.

Vous venez de signer un travail sur un "pays disparu" dont les habitants sont bien vivants. Comment se portent les Ossis que vous avez rencontrés ? Quel est leur état d'esprit ? Le très véhiculé « schéma direct victime/bourreau ou oppression/résistance ne concerne qu'un nombre limité de ces ex-citoyens de RDA », écrivez-vous.
Nicolas Offenstadt : L’Allemagne de l’Est est bien sûr faite de diversité, de diversités de destins aussi. Mais il y a chez de nombreux Ossis (NdlR : ressortisssants de l'ex-RDA) le sentiment d’être des "citoyens de seconde classe", d’une part parce que la biographie de ceux qui ont vécu en RDA est souvent renvoyée exclusivement à la dictature politique et à l’échec économique, d’autre part parce que subsistent encore de nombreuses différences économiques et sociales avec la partie Ouest du pays.

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Diriez-vous qu'il y a toujours deux Allemagnes ? Quelles différences subsistent entre la vie des habitants de l'ex-Allemagne de l'Est et celle de l'Ouest ?
En partie, oui. Il y a toujours des différences de salaire importantes - ils sont plus faibles à l’Est - et des traitements parfois jugés discriminatoires des pensions et retraites hérités de la RDA. Le paysage de l’Est est aussi très marqué par les fermetures de nombreuses entreprises et institutions de l’Allemagne socialiste, et par le départ de nombreux habitants de l’Est vers l’Ouest.

Les statues ont été déboulonnées, les rues débaptisées, le symbole le plus prégnant de la RDA – le Palast der Republik – a été anéanti pour ériger une resucée du château des Hohenzollern, la Fernsehturm a été épargnée, peut-être parce qu'elle n'a pas d'amiante et surtout parce qu'elle est une manne touristique... Avec quoi désormais faire le récit de la RDA, si ce ne sont les objets du quotidien que l'on voit dans tous les musées ou dans Good Bye, Lenin ! de Wolfgang Becker et que vous avez traqués sur eBay, dans les brocantes et les friches ?
Oui les objets ont cristallisé et cristallisent le souvenir, les souvenirs. Pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’ils peuvent être en partie détachés de la critique politique d’ensemble du régime. Ils peuvent ainsi raconter ou remémorer une vie quotidienne ordinaire qui ne se retrouve pas complètement dans le grand récit de la méchante RDA, finalement terrassée par les bons démocrates de l’Ouest pour bâtir, avec la réunification, « l’histoire d’un succès ».
Ensuite dans une économie socialiste, il y a peu de marques différentes pour chacun des objets, qu’il s’agisse d’un coquetier ou de lessive. Autrement dit, pour les Allemands de l’Est d’aujourd’hui, ces objets font mémoire collective, permettent de repartager un passé commun. Enfin, certains vont plus loin que les bons souvenirs et bâtissent de petits musées de la vie quotidienne, plus ou moins ouverts, qui sont autant de retours sur leur propre vie.

Berlin offre-t-elle (avec sa vie alternative, sa population jeune) une image fausse de l'Allemagne et de ce qu'il reste de l'Allemagne de l'Est ?
Un image fausse non, différents aspects de l’Allemagne contemporaine s’incarnent bien dans Berlin, tant en termes d’ouverture politique que de politiques de mémoires.

Mais le dynamisme et l’attractivité de Berlin, qui se manifestent entre autres par l’importante fréquentation touristique et l’envolée des prix immobiliers, contrastent nettement avec la situation d’une grande partie de l’ex-Allemagne de l’Est.

La "province" de l’Est souffre de maux très loin de la vie animée de la capitale, ne serait-ce qu’en termes de paysages. Trouver un restaurant ouvert dans une petite ville de l’Est est souvent un défi et après 21h une gageure.

Avez-vous le sentiment que l'Ostalgie que l'on perçoit aujourd'hui soit en Allemagne (via les hôtels DDR par exemple) ou en France (un Kaffe Berlin à Lyon avec portrait de Honecker) insulte ceux qui ont vécu sous cette répression policière ? Y a-t-il une méconnaissance coupable de ce que fut la RDA ?
Tout dépend des manières de procéder et de raconter. Il me paraît très sommaire de vouloir toujours ramener la RDA à la surveillance, à la Stasi et surtout franchement dangereux de multiplier les comparaisons avec le nazisme. Les intentions des deux régimes sont incomparables, même si les idéaux socialistes se sont bien abîmés dans les pratiques en RDA, et plus encore le degré et les résultats de la violence d’État. Mais un récit kitsch de la RDA ramené à des petites Trabant, à des images vintage, ne raconte rien non plus. Ceci dit il faut distinguer le travail de l’historien qui se doit de faire un récit équilibré et pertinent et les mémoires qui découpent le passé selon leur logique.

Existe-t-il l'équivalent de votre travail sur la RDA par vos homologues allemands ? Est-ce que la RDA est un sujet d'études en Allemagne ?
Non, pas à ma connaissance. Pourtant la RDA est extrêmement étudiée en Allemagne, il y de très bons travaux sur presque tous les aspects. Le fait d’arpenter les territoires et les paysages de l’Est aujourd’hui en dépliant les couches du passé visibles, ou pas, sur place, par un regard d’historien, comme je l’ai fait, reste cependant assez rare. D’autant que je n’ai pas simplement posé mon regard sur le visible. En pratiquant l’exploration urbaine, j’ai visité de l’intérieur, sans autorisation spéciale, plus de 230 sites abandonnés de l’ex-RDA pour mesurer plus profondément ce que sont aujourd’hui les traces d’un pays disparu.

Nicolas Offenstadt, Le Pays disparu (Stock)
Au Goethe-Institut le mardi 12 février à 19h

À la Médiathèque Jean Prévost de Bron (dans le cadre d'une conférence UTA sur l'anniversaire du Traité de l'Élysée) le samedi 9 février à 14h30

À la fédération PCF du Rhône à Lyon (1 cours Albert Thomas) le lundi 11 février à 18h30

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