Plein les yeux

Expo / Exposition coup de poing à la Bibliothèque de la Part-Dieu qui présente le travail du photo-reporter James Nachtwey dans le cadre du festival Lyon Septembre de la photographie. Ses clichés d'un monde dévasté par la barbarie des hommes sont indélébiles. Nadja Pobel

«J'ai vu des gens qui avaient tout perdu : leur maison, leurs familles, leurs bras et leurs jambes, leur raison. Et pourtant, à chacun il restait sa dignité, moyen irréductible de la condition humaine». C'est par ces mots que s'ouvre l'inoubliable exposition consacrée au grand photo-reporter multi primé qu'est James Nachtwey. Malgré ce qu'il dit, que reste-il d'humain dans le corps de ce Somalien dévoré par la famine en 1992 sinon, justement les yeux du photographe ? Depuis 1981 et ses premiers clichés en Irlande du Nord, Nachtwey parcourt les terrains les plus minés du globe avec un appareil 35 millimètres et sans téléobjectif afin d'être au plus près des hommes et de témoigner le plus justement possible de la barbarie au Rwanda, en Afghanistan, en Afrique du Sud ou en Roumanie. Dans des mouroirs ou des orphelinats de l’après Ceaucescu, les corps ne sont pas décharnés comme dans certains États en guerre. Néanmoins, la nausée gagne en scrutant les vingt-et-une images de ces jeunes et ces vieux parqués ici. Le regard des enfants transperce la pellicule. Ils ont peur. Ils sont presque déjà morts de peur, de malnutrition, d'abandon. James Nachtwey leur rend la vie.Action vérité
Mais en cherchant à éveiller les consciences, James Nachtwey ne fait-il pas simplement de beau avec l'horreur ? La question lui a souvent été posée et lui-même se dit hanté par le risque de profiter de la détresse des autres. Pourtant, force est de constater qu'il ne place jamais le spectateur en position de voyeur. Son travail sur le cadre, la lumière (il peut rester de longues minutes à attendre les meilleures conditions de prise de vue) n'est qu'un indispensable préalable pour servir son infatigable désir de témoigner. Il pratique son métier comme une mission, n'oublie rien de ce qu'il a traversé et en parle avec une émotion qui l'étrangle quinze ans après. Et si l'addition des conflits lui courbe l'échine (et lui laisse au passage des éclats de grenades dans le corps), à 62 ans, il continue à croire que la photo peut influer la marche du monde et le rendre moins cruel.Made in USA
Parfois, il retrouve ses concitoyens et traque l'histoire tragique des siens. En Irak, Nachtwey réalise une incroyable série de clichés noir et blanc imbriqués pris sur la table d'opération des GI en charpie, «Le sacrifice». Ces soixante clichés collés les uns aux autres forment une mosaïque de laquelle il faut s'approcher pour reconstituer les corps. Pas de photo-étalon, mais le rendu d'un conglomérat de douleurs trop denses pour en extraire une seule. En Irak, il croise aussi ces enfants perdus qui montrent avec leurs corps mutilés la relativité des frappes chirurgicales. Le hasard a fait que l'horreur s'est aussi invitée sous les fenêtres du photographe. En face de son bureau, Nachtwey immortalise l'écroulement des tours le 11 septembre 2001. Il capte, en couleur, la lumière de fin du monde qui s'abat sur New York et les bâtiments gondolés par l'explosion qui s'écroulent comme un vulgaire château de carte. En ingurgitant des cendres jusqu'à en tomber malade, appareil-photo vissé à l'œil comme une seconde peau, Nachtwey procure cette étrange et déchirante sensation de voir une civilisation en carton pâte s'enfoncer dans le sol. À la Bibliothèque de la Part-Dieu
«James Nachtwey, photographies», exposition jusqu'au samedi 15 janvier
«James Nachtwey, war photographer», documentaire de Christian Frei, vendredi 5 novembre à 18h30.

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