«Filmer ou ne pas filmer»

Dans «J’aimerais partager le printemps avec quelqu’un», Joseph Morder raconte, avec un simple téléphone portable, la période de février à mai 2006, une rencontre (amoureuse) et une élection (présidentielle). Rencontre. Propos recueillis par CC

Petit Bulletin : Ce film n’est pas un documentaire, c’est bien une autofiction ?
Joseph Morder :
J’aime bien le terme d’autofiction, où l’auteur garde son propre prénom, ce qui est le cas avec ce film. Mais c’est vrai qu’il y a des parts fictionnelles, du documentaire…

Est-ce que cette fiction est dictée sur le hasard ?

Je ne crois pas au hasard, mais aux coïncidences. Je pense que nous nous rendons disponible pour recevoir des événements, des rencontres.

Dans le film, vous faites sans arrêt attention aux signes : la pluie qui annonce une possible victoire de la gauche, par exemple…
On se construit chacun notre petite histoire. Chacun a ses propres symboliques, ses propres rituels. Quand je vois la pluie, je me rappelle du 10 mai 1981, où il pleuvait pour la victoire de Mitterrand. Ce sont des coïncidences et on en fait des éléments fictionnels, on construit ses propres légendes.

Dans la scène avec Alain Cavalier, la coïncidence devient technique : sa présence change la lumière de la caméra !
Au début, je filme ma découverte de ce nouvel outil qui est le téléphone portable. Et au début du tournage, Alain Cavalier vient chez moi…

C’est un hasard ou c’était planifié ?
Je ne me souviens plus très bien… Il devait venir ce jour-là, et il se trouve que c’était au début du tournage. Ça tombait très bien pour ce que je voulais filmer. Mais quand Cavalier vient chez moi, je ne sais pas ce que je vais filmer. J’ai cette caméra ce jour-là, donc je le filme et en quelques secondes, cet outil qu’il n’a encore jamais utilisé, il le cerne et il me donne une petite leçon de cinéma, de cadre et de lumière.

Vous parlez d’«outil», c’est un terme que Cavalier a longtemps utilisé pour parler de la caméra…
Je crois en effet que c’est un outil au sens de «métier», au sens artisanal.

Avez-vous comme lui ce fantasme de vous réapproprier l’outil à toutes les étapes du film : du tournage à la projection, où c’est vous qui apportez le film pour le projeter…
Oui, je l’ai beaucoup fait, je le fais encore. Mais j’ai aussi ce fantasme du cinéma hollywoodien où j’arrive les mains vides… J’ai envie de passer à quelque chose de plus élaboré, de plus industriel. Cavalier a fait le trajet inverse, il vient de l’industrie.

Dans le film, à défaut de faire ce cinéma industriel, vous y faites sans arrêt référence : vous citez Sirk, vous parlez de Technicolor…
Ce sont mes références constantes. El Cantor, mon film précédent, était tourné en 35 mm, avec une équipe de 30 personnes, c’était une fiction avec des dialogues et des comédiens. Les images d’El Cantor sont pour moi des images qui viennent du Technicolor.

Le téléphone portable permet de retrouver cette image picturale, avec des couleurs saturées…
Il y a en effet une prédominance de couleurs très unies, le rouge, le vert, le jaune, mais aussi des tons neutres, gris, noir, et blanc. Je pense que ce film est spécialement pictural. Les pixels transforment la réalité de ce qui est filmé…

Et le personnage de Sacha serait votre modèle…

C’est ça. Il a posé pour moi. Il n’est pas là pendant tout le film, mais il en est le sujet, même par son absence.

Ça amène à la question fondamentale : filmer ou ne pas filmer ?
C’est tout le questionnement de ce que je fais. Faut-il vivre les choses ou faut-il les filmer ?

Sachant que filmer, c’est modifier la réalité…

Forcément. C’est pour ça que je ne filme pas tout le temps. Je prévois que je vais filmer l’événement, mais je ne sais pas ce qui va se passer pendant que je filme. Pour arriver à sculpter quelque chose dans la réalité, il faut aussi être dans un désordre absolu.

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