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Les films passionnés de Vincente Minnelli
Par Christophe Chabert
Publié Vendredi 26 février 2010 - 2236 lectures
Une très belle rétrospective à l’Institut Lumière autour de Vincente Minnelli, roi de la comédie musicale, génie du mélodrame et artisan moderne de la comédie sophistiquée. Christophe Chabert
Quand Joann Sfar présentait son "Gainsbourg", il n’hésitait pas à mentionner le cinéma de Vincente Minnelli comme une influence majeure. Bien entendu, le Minnelli dont Sfar parlait était celui d’"Un Américain à Paris" — son versant musical, celui qui a fait sa réputation — pas celui de "La Vie passionnée de Vincent Van Gogh", qu’il aurait pourtant pu citer comme une influence possible en matière de biopic artistique. Mais sur ce volet, il préférait le "Van Gogh" de Pialat… Cela en dit finalement assez long sur la réception publique du cinéma de Minnelli : sa carrière est souvent réduite à son talent — certifié — pour donner à un genre, la comédie musicale, ses lettres de noblesses, ses œuvres majeures et pionnières. "Tous en scène", "Gigi", "Le Pirate", "Brigadoon"… Autant de films effectivement exceptionnels, qui utilisent le spectacle chanté pour brouiller les frontières entre le rêve et la réalité, entre la vie et sa représentation sur scène, entre le jeu et la vérité. Cette idée forte est aussi, dans les dispositifs inventés par le metteur en scène, une idée de cinéma : comment passer du dialogue à la chanson, du geste à la danse ? En faisant vaciller, dès le stade du scénario, la distance entre les deux. Minnelli respecte ce code sacré de la comédie musicale, mais il cherche à le rendre le plus naturel possible. Les décors de studio volontairement artificiels, parfois mis en abyme à travers le sujet de ses films ("Tous en scène", "Ziegfeld Follies") servent aussi ce dessein. Surtout, son cinéma ne transige jamais sur l’exigence de raconter des histoires qui sont aussi des fables morales ou sociales. Déclassés, expatriés, attirés par la promesse d’une aventure romanesque ou par le grand ailleurs, les personnages, souvent pris dans les milieux huppés, voient leurs aspirations romanesques réduites à une promesse d’encanaillement vouée à l’échec. Ce n’est pas pour rien que Woody Allen, dans sa seule comédie musicale (Tout le monde dit I love you), reprendra ce discours avec une ironie beaucoup plus mordante : on ne sort de son milieu que pour mieux y revenir la queue entre les jambes…
Mélodrames sans eau de rose
Cette manière de lester la part la plus légère et divertissante de son œuvre avec un fond de gravité et une pointe de théorie va servir Minnelli quand il commencera l’autre versant magnifique de sa filmographie : les mélodrames. Son premier essai en la matière, "Madame Bovary", est beaucoup plus qu’une adaptation de Flaubert : il met en scène l’auteur racontant l’histoire de son personnage imaginaire au cours d’un procès qui lui est intenté. La passion de l’héroïne devient la passion du romancier, la vie et l’œuvre se confondent en un même geste de fiction. Plus tard, il reprendra le principe dans "La Vie passionnée de Vincent Van Gogh", créant sans le vouloir ce qui deviendra le plus grand écueil des biographies filmées consacrées à des artistes… La mauvaise conscience de cette correspondance un peu schématique, on la trouve dans le diptyque superbe consacré à Hollywood : "Les Ensorcelés" et "Quinze jours ailleurs". Dans "Les Ensorcelés", la violence des rapports entre les différents protagonistes, producteur, scénariste, réalisateur et acteurs, ne percent pas la surface des médiocres films de série dans lesquels ils se compromettent. Le film de Minnelli montre comment une industrie façonne ses talents en leur ôtant toute singularité. Manipulations et trahisons les forcent à se transcender pour survivre dans un monde impitoyable. L’amertume est au bout de ce chemin ambivalent : "Quinze jours ailleurs" expose le crépuscule de ce cinéma des studios, dans un film beaucoup plus linéaire dans sa forme, beaucoup plus inquiet dans son propos. À la différence de Douglas Sirk, sorte de frère ennemi jusque dans le cœur des cinéphiles, les mélos de Minnelli reposent souvent sur une santé complexe, comme des comédies qui en cours de route déraillent vers le drame. Dans Comme un torrent, son meilleur film, les registres se juxtaposent jusqu’au vertige : l’écrivain alcoolique incarné par Sinatra débarque comme un chien dans un jeu de quilles au milieu du quotidien triste de son frère embourgeoisé. Mais ce jouisseur impénitent au comportement tragi-comique va aussi prendre conscience du ratage de son existence, de cette pulsion autodestructrice qui anéantit son talent et le rend sourd à l’amour de son entourage.
Un film modèle
En fait, Minnelli, en plus d’être un génie du musical et un artiste du mélodrame, est aussi un auteur de comédie d’une grande modernité. Il faut, sur ce point, absolument redécouvrir "La Femme modèle". La narration, qui adopte alternativement le point de vue de tous les personnages secondaires pour rectifier les mensonges et approximations de son couple principal, est digne d’un Tarantino. La mise en scène, d’une fluidité ahurissante pour l’époque, se permet toutes les audaces pour donner à cette construction folle une ivresse jouissive. Une fois de plus, Minnelli y développe son thème préféré : comment deux mondes inconciliables - — la boxe et la danse, un journaliste sportif et une créatrice de mode — vont se rencontrer et, après un premier choc frontal, trouver un terrain d’entente acceptable quoique fragile. "La Femme modèle" est comme un précipité de l’art du cinéaste : léger, vif, drôle, ludique, mais aussi hanté par les fossés de tout ordre qui empêchent les hommes de vivre ensemble.
Rétrospective Vincente Minnelli
A l’Institut Lumière, du 4 mars au 2 mai.
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