Jean-Luc Navette : rencard avec la nuit noire

Jean-Luc Navette : Preaching the blues

Marché Gare

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Illustration / 22h05 un mardi à Lyon cinquième, Vieux Lyon. Jean-Luc Navette y a pris ses quartiers depuis 15 ans. Viva dolor, son lieu de travail, sa chapelle n’est pas le lieu du rendez-vous. C’est devant l’église Saint-Paul sous sa tour-lanterne que je retrouve l’illustrateur. Silhouette svelte noire, face poivre et sel embrumée par la fumée. L’homme est pressé. Dans quelques jours, une soirée lui est dédiée au Marché Gare, les invités d’honneur seront le blues et son dernier livre : Nocturnes.

À quelques pas de Saint-Paul, coule la Saône. 22h05. Au bord de l’eau, à l’abri d’un saule pleureur et sous le regard bienveillant de la lune presque pleine, Jean-Luc Navette me raconte l’histoire de Nocturnes, son deuxième ouvrage édité chez Noire Méduse, à qui il reste fidèle. Ce recueil d’illustrations relève d’une expérience très personnelle entre l’illustrateur et des thèmes liés au passage « du jour et de la nuit, de la vie à la mort, de la lumière à l’ombre ». Nocturnes s’imprègne de conversations que son narrateur entretient avec les affres inconnues de l’inspiration.

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Son premier ouvrage, Dernier été du vieux monde, s’interrogeait davantage sur le processus de fabrication d’une image, parfois tortueux. Dans cet antre, les histoires d’amour chaotiques, d‘amants qui s’écrivent, se manquent, se déchirent y étaient nombreuses. Dans Nocturnes, nous sommes au cœur de l’expérience de son écriture personnelle. Le rock et le blues se mêlent à une noirceur ésotérique, spirite. Dans un jeu de masques sur la scène de cet absurde théâtre de la vie matérialisée en 184 pages, Jean-Luc Navette nous conte une histoire qui ne lui appartient pas, celle du monde qu’il observe. Cette transformation tient de l’alchimie, un rôle d'auteur qui colle merveilleusement bien à sa peau noircie, et à toutes celles qu’il a tatouées.

Perception

Nocturnes, c’est le déluge qui aspire le Bayou - ce qui n’est pas sans rappeler l’actualité qui paralyse l’Homme et détruit le monde. Les personnages semblent être à la fois victimes et bourreaux d’une divine comédie unifiée où le paradis se purgerait paradoxalement en enfer.

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Et la vapeur du fleuve dessus s’étend, sauvant du feu ainsi l’eau et ses bords

sont les premiers vers du Chant XV de l’Enfer lisibles en pages centrales. Si Dante se perdit dans une forêt obscure, Jean-Luc Navette semble y promener son crayon et son imagination avec aisance. L’illustrateur aurait-il ouvert son troisième œil ? Un symbole de perception et de connaissance que l’on retrouve à plusieurs reprises, dont l’une des récurrences s’incarne en une porte ouverte sur un ciel noir constellé d’astres immaculés.

La nuit est un gouffre grand-guignolesque. Les freaks ont la permission de sortie. Des hommes et des femmes hybrides - mi humains mi animaux - revendiquent leur condition déficiente. Des diseuses de bonne aventure vampirisantes, tout droit échappées d’un sulfureux portrait d’Irina Ionesco, nous regardent droit dans les yeux et nous défient d’opposer quelconque résistance. Nocturnes défie la mort en communiquant avec l’au-delà, et respecte les fantômes qui le peuplent. Dans un élan mortuaire, des animaux et même des hommes sont sacrifiés. Les circassiens ne sont plus en simple représentation, ils ont mué en phénomènes de foire qui officient lors d’une messe noire, comme pour conjurer le sort jeté par un amant trahi ou un ennemi assassiné.

Fantômes

La lecture de Nocturnes tient presque d’une herméneutique où les Saints se seraient dépouillés jusqu’à devenir fantômes, pas ceux qui hantent, non, mais ceux qui inspirent et surveillent l’illustrateur méditant sur sa table à dessin. Parmi ces veilleurs, les fantômes du blues suggèrent que l’on ne les oublie pas. Dans une série de portraits consacrée à ces hommes et ces femmes parfois sans visage, Jean-Luc Navette nous invite à prêcher pour sa paroisse. Toute une mythologie visuelle entoure ces pionniers du genre que les rares portraits nourrissent. On pense en particulier à ceux de Robert Johnson ou de Charley Patton, et même à l’inexistence d’une image de la chanteuse Geeshie Wiley.

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C’est dans les méandres de cette inspiration que Jean-Luc Navette a revêtu de peinture une partie du long couloir du Marché Gare avec notamment un homme sans visage, un possible bluesman pas encore découvert. Peut-être, les fantômes auront-ils la bonté de nous mettre sur sa voie.

Nocturnes (2017) éditée chez Noire Méduse

Jean-Luc Navette, Preaching the Blues
Au Marché Gare le mardi 26 septembre à 18h

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