Jean-Noël Scherrer : patron Cognito

Last Train + Night Beats

Épicerie Moderne

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Portrait / À 24 ans seulement, Jean-Noël Scherrer assume la double casquette de leader du groupe Last Train et de directeur de l'agence Cold Fame, combinant avec un infatigable panache et une volonté farouche, le rock et l'entrepreneuriat. Portrait du phénomène à l'heure où se téléscopent la sortie du deuxième album de Last Train et la première édition du festival La Messe de Minuit, initié par Cold Fame.


Dans le dernier clip de Last Train, montage d'images réalisé par le guitariste Julien Peultier, qui illustre la chanson-titre de leur deuxième album à venir, l'épique The Big Picture, enregistré en Norvège, on peut voir le quatuor à différentes étapes de sa vie musicale, des premières répétitions alsaciennes aux concerts telluriques devant des foules immenses. On y voit le chanteur Jean-Noël Scherrer électriser le public et le même, à 13 ans, martyriser une guitare trop grande pour lui dans quelque salon de rock'n'roll improvisé à la maison.

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Peut-être le jeune garçon d'alors s'imagine-t-il, comme tous les ados du monde, dans la peau d'une rock star, leader, chanteur et guitariste d'un groupe qui compte dans le paysage rock français et même au-delà. Mais ce que le novice d'Altkirch (Haut-Rhin) n'imagine alors sûrement pas c'est qu'une décennie plus tard, il sera aussi dirigeant et/ou associé de cinq sociétés, formateur, intervenant du Chantier des Francofolies, et surtout patron de Cold Fame, agence de diffusion et de production de concerts basée à Lyon où Last Train a entretemps migré. Encore moins recevoir le prix "La nouvelle onde" récompensant les jeunes entrepreneurs de la culture, ce qui fait sans doute de lui le seul chanteur de rock dans ce cas.

Lorsqu'on réussit à l'attraper en vue d'un portrait dans ces pages, il est en résidence avec Last Train à l'Épicerie Moderne, où le groupe prépare le concert qui ouvrira sa tournée et la première édition du festival La Messe de Minuit, monté de toute pièce par Cold Fame et donc... Jean-Noël. Une schizophrénie que l'on doit moins à une ambition dévorante qu'au rêve du gosse entrevu dans le clip de The Big Picture.

Le parcours est classique, piano à six ans, dont l'apprentissage est rendu difficile par le fait qu'il est viscéralement infoutu de lire la musique : « on a même cherché une école de musique qui n'impose pas le solfège » rigole-t-il ; la découverte d'une guitare acoustique, l'offrande d'un engin électrique à Noël (« le pack à 150 balles avec un petit ampli ») la rencontre avec Julien Peultier, Timothée Gérard et Antoine Baschung, et l'envie de faire du bruit le mercredi après-midi.

Aucun ne sait vraiment jouer mais les quatre, tout en se façonnant une culture rock, se font d'emblée les dents sur leurs propres chansons « à 150% plagiées sur tout ce qu'on écoutait à l'époque. » Et voilà Last Train qui, malgré son inexpérience écume les bars des environs à un âge auquel on n'est pas encore autorisé à fréquenter les débits de boisson.

Sa petite entreprise

Inséparables au point de suivre les mêmes études, le quatuor a tôt fait de balayer d'un revers de main ses diplômes, Jean-Noël, que l'ami et réalisateur alsacien Rémi Gettfliffe qualifie très tôt de "mastermind" du groupe, posant un ultimatum né d'une épiphanie : « j'ai le souvenir très précis, confie-t-il, d'être venu à Lyon voir Queens of The Stone Age et m'être dit que je voulais absolument faire ressentir à d'autres ce que j'avais ressenti ce jour-là. Je suis remonté en Alsace et j'ai dit "soit on s'arrête, je monte un nouveau truc et j'y vais à fond, soit on se prend six mois, et on se donne les moyens d'y arriver ensemble". » La deuxième option est privilégiée. À 19 ans, le groupe, « déjà très affirmé » convient Rémi Gettliffe, a déjà une expérience consommée de la scène, tout appris sur le tas, et empilé les erreurs à ne pas reproduire. Puis vient Fire, le morceau qui allume la mèche d'une carrière prometteuse : « Pour la première fois, on s'est dit : "là on tient vraiment quelque chose, quelque chose qui soit nous" », avance Jean-Noël.

S'ensuivent des dizaines de concerts, des premières parties en cascade, les Bars en Trans, le Printemps de Bourges. Et le déroulement d'une stratégie consistant à tout faire soi-même sur le modèle de ce que fait Rémi Gettliffe avec son propre groupe mais en l'amenant, selon ses dires, « à un niveau bien supérieur ». Le déclic a lieu au détour d'une phrase qui allume quelque chose dans le cerveau de Jean-Noël : « Un jour, Jean-Luc Gattoni, de la Laiterie à Strasbourg, m'a dit : "un groupe c'est comme une entreprise, ça se gère exactement de la même manière." Ç'a a changé l'histoire de Last Train. On est les meilleurs amis du monde, on rigole beaucoup, mais c'est aussi très sérieux et très cadré. »

Pour Jean-Noël « Le fantasme du groupe qui compose un bon titre et part en tournée n'existe pas. Il faut se prendre en main et maîtriser les ficelles de l'industrie musicale. » Mais il reconnaît, avec le recul, une grande naïveté originelle : « on ne connaissait rien de l'industrie musicale, des notions administratives, juridiques, fiscales. Quand on a créé Cold Fame, on ne savait même pas ce que c'était. On a découvert que c'était un métier et même plusieurs, alors qu'on voulait juste aider des groupes, à commencer par nous. »

Cold Fame, installé à Lyon par pragmatisme, signe ainsi le groupe Lyonnais Holy Two, développe même un temps une activité de label, mais surtout de booking et de production de concerts. À l'époque Jean-Noël et Julien Peultier, qui prendra plus tard du recul par rapport à Cold Fame, travaillent dans un fast food le jour et apprennent la nuit leur nouveau métier dans des bouquins. Le reste du temps, ils frappent à toutes les portes pour tisser un réseau aujourd'hui considérable.

Le musicien se découvre ainsi sur le tas une passion pour l'entrepreneuriat qu'il définit prosaïquement comme « une manière de se sortir les doigts du cul :

c'est assez étrange de constater qu'en ayant la motivation, vouloir développer un groupe t'amène à de telles extrémités, ça donne le vertige et en même temps c'est très gratifiant. »

Au point qu'à 24 ans, le patron de Cold Fame, qui s'occupe d'une quinzaine de groupes, distille son expérience et vulgarise son savoir dans des formations, à l'intention d'une nouvelle génération, la sienne, qu'il sait porteuse d'une nouvelle énergie à vouloir faire les choses par elle-même et à « transformer l'industrie musicale », manière comme une autre de changer le monde.

Stakhanofreak

Control freak et stakhanoviste affirmé, et confirmé par son entourage, à commencer par son associée Justine Blanc, Jean-Noël jongle sans peine avec deux casquettes qui selon elle « profitent à tout le monde » que ce soit dans la gestion sensible des groupes ou les opportunités de son réseau. Une capacité de travail qui force le respect de Rémi Gettliffe et de Justine (et sans doute de beaucoup d'autres) et semble découler d'une autre phrase motrice : « Quand Fabien Lhérisson du Plan à Ris-Orangis m'a dit "tu n'y arriveras jamais", je me suis fait le pari de lui donner tort, avoue Jean-Noël. » Car le risque serait qu'une activité mette l'autre en péril, que le chef d'entreprise vampirise l'artiste. « Ce sont deux activités très chronophages mais il suffit d'être organisé et je suis bien entouré ». Cold Fame compte six permanents.

Justine Blanc constate en effet au-delà d'une implication totale de son associé, une capacité à faire confiance et à déléguer qui croît à mesure que les responsabilités s'empilent. Mieux, il semble que cette double vie soit même source d'inspiration pour l'auteur-compositeur : « En prenant du recul, je me suis rendu compte que l'un nourrissait l'autre. Il y a eu des moments très hauts et très bas liés à cette émulsion d'activité, à ce trop plein de choses. Et ç'a donné des chansons dont je suis super fier aujourd'hui.

Certains titres du deuxième album n'auraient jamais vu le jour si j'étais resté enfermé dans un local de répèt' à vouloir écrire de belles chansons.

« Quand j'écoute les paroles de The Big Picture, note Justine Blanc, je sais très bien à quoi elles font références. Cold Fame l'a beaucoup fait grandir. »

En accouchant cette semaine du festival La Messe de Minuit qui propose paritairement groupes internationaux et français, têtes d'affiches et jeunes espoirs, et met à point d'honneur à convier des femmes sur scènes (Decibelles, Bandit Bandit), Jean-Noël Scherrer ajoute à l'édifice une pierre qui donne un peu plus de sens à son activité de chef d'entreprise, résumée en ces quelques mots comme pour boucler l'immense boucle de sa jeune vie : « je crois que tout ce que je fais au quotidien avec Cold Fame consiste à trouver les moyens de réaliser mes fantasmes d'adolescent. » Ainsi l'entrepreneur contribue-t-il ironiquement à satisfaire les rêves de rock du collégien qui, répétant avec trois potes le mercredi après-midi, n'en espérait sans doute pas tant.

Last Train, The Big Picture (Def Records)

La Messe de Minuit
À l'Épicerie Moderne, au Périscope et au Transbordeur ​les jeudi 19, vendredi 20 et samedi 21 septembre

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