D'abord, oublier le titre, peu accrocheur, de ce film géorgien signé George Ovashvili. Ensuite, ne pas se fier au rapide résumé que l'on va en faire : sur un bout de terre au milieu d'un fleuve, un vieux paysan abkhaze — une république indépendante de Géorgie, mais dont le statut n'a été reconnu que par très peu d'états dans le monde — et sa petite fille s'y installent pour construire une baraque et y faire pousser du blé. Le tout avec très peu de dialogues et une menace latente et elle aussi muette, celle des militaires armés qui patrouillent sur le fleuve.
Comment, à partir d'un pitch aussi minimal, Ovashvili a-t-il réussi à faire un des films les plus impressionnants de l'année ? Par un travail particulièrement saisissant sur l'espace et le temps, chaque image étant d'une beauté fulgurante, chaque mouvement d'appareil venant saisir à la fois les vibrations de la nature, le passage des saisons et les élans des personnages. Car la jeune fille voit naître en elle un désir qui germe comme les épis de blé sur cette terre émergée, tandis que son grand-père tente tant bien que mal de le contenir ou de le réprimer. Pas une séquence sans son conflit dramatique, qu'il soit extérieur ou intérieur ; pas un instant sans que cette tension visuelle et narrative ne se relâche, créant des scènes inoubliables comme cette découverte d'un homme blessé la nuit au milieu du champ, troisième personnage qui va venir déstabiliser définitivement un équilibre déjà précaire.
Après Leviathan et The Tribe, La Terre éphémère confirme que c'est à l'Est que se fabrique un cinéma de pure mise en scène, dont la beauté n'est ni hautaine, ni excluante ; juste splendide.
Christophe Chabert
La Terre éphémère
De George Ovashvili (Géorgie-All-Fr-Tchèquie-Kazakh, 1h40) avec Ilyas Salman, Mariam Buturishvili...