Mercredi 2 février 2022 La disparition prématurée de Sólveig Anspach a mené entre les mains de Carine Tardieu le scénario des Jeunes Amants, que la cinéaste a retravaillé et tourné entre Lyon et Paris avec Melvil Poupaud et Fanny Ardant dans le rôle de Shauna....
Jeanne du Barry : Aux marches du Palais
Par Vincent Raymond
Publié Mercredi 17 mai 2023 - 2662 lectures
Photo : ©Stephanie Branchu - Why Not Productions
Cannes 2023 / D’un classicisme à peine bousculé, Jeanne du Barry suit les grandeurs et misères d’une courtisane ayant réchauffé le crépuscule d’un monarque. Maïwenn s’offre Johnny Depp, Versailles et le rôle-tire dans cette superproduction à la française taillée sur mesure pour marcher — à tout le moins sur le tapis rouge de la Croisette, où elle fait l’ouverture.
Faut-il y voir matière à sarcasmes ou une banale coïncidence ? Quelques heures seulement après avoir accueilli le sommet Choose France — consistant à faire assaut de courtisaneries auprès de nababs étrangers afin qu’ils daignent investir dans notre République —, ce théâtre de pompe et d’intrigues qu’est le Château de Versailles se retrouve projeté 900km plus au sud sur une scène n’ayant rien à lui envier question surexposition médiatique, apparat ni hypocrisie : le tapis rouge du Palais des Festivals.
à lire aussi : Il n’y a pas de mai : c’est Cannes
On sait depuis des lustres que le film d’ouverture réclame du faste (on n’attire pas les flashes avec du vinaigre), vitrine glamour destinée à amorcer la sujétion des publics du monde entier à la magie de la Croisette durant dix jours ; il arrive même qu’un film exceptionnel y soit programmé, comme l’année dernière le savoureux Coupez ! de Michel Hazanavicius. En optant pour la présence conjointe d’un Johnny Depp semi-tricard à Hollywood et de l’un des symboles touristiques (hors Tour Eiffel) les plus emblématiques de l’Hexagone pour sa séance inaugurale, Cannes cochait deux cases sûres pour s’assurer un coup de projecteur idéal… agrémenté d’un parfum de soufre en adéquation avec le sujet du film. Une mise en abyme parfaite puisque Jeanne du Barry est traversé par la question de la transgression, de l’outrage à la bienséance, au conformisme, du scandale. Du désir de s’élever également… comme de la cruauté de la chute.
XVIIIe siècle, au Royaume de France. Fille d’une domestique, Jeanne Vaubernier bénéficie de l’éducation réservée aux enfants de haut rang, grâce au soutien du gentilhomme pour qui travaille sa mère. Mais à la fin de l’adolescence, elle est forcée de quitter ce cocon, direction Paris où elle entame une “carrière” de modèle, puis de courtisane avec un certain succès. Régulière du Comte du Barry, elle attire l’œil du Duc de Richelieu : ce fin stratège imagine aussitôt la placer dans le lit du roi Louis XV afin d’exercer une emprise indirecte sur lui. Devenue sans peine favorite d’un monarque en fin de parcours, Jeanne du Barry chamboule la cour par ses manières décomplexées. Peu soucieuse de l’étiquette, elle s’attire également la haine des princesses du sang, alors que le règne du futur Louis XVI se prépare en coulisses…
à lire aussi : «Une jeune femme éprise d'un homme de pouvoir sera toujours vue comme quelqu'un qui court après son argent»
Memento mori
Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre ce qui pouvait tant fasciner Maïwenn dans le parcours de la du Barry, ni pourquoi elle s’est sentie comme « connectée » à ce personnage. Toutes deux partagent une irréductible indocilité et le désir de se hisser au sommet — histoire de voir si l’on peut y mettre les pieds dans le plat. S’appropriant au point de phagocyter le personnage-titre, la comédienne accentue ce trouble sentiment d’identification en étant des deux côtés de la caméra, des deux côtés de l’histoire ; l’Histoire, quant à elle, étant pliée aux licences d’usage. Face à cette manière d’(auto-) biographie divergée, grande est la tentation de voir son alter ego Johnny Depp interpréter lui aussi un translaté de ce qu’il est : un quasi-sexagénaire sans fard (certes maquillé à la mode de l’époque) à la beauté sur le déclin et au règne contesté par une nouvelle génération.
Cette idée d’une décrépitude larvée, insidieuse, mettant à mal les toutes-puissances figées dans leurs certitudes dorées, contamine le film dans son entièreté, à la manière d’une vanité. Maïwenn tempère en effet en permanence la magnificence du décor, des costumes, des titres par de petits accrocs rappelant l’éphémère des choses : ici, un ciel d’orage pour déchirer un ciel trop bleu ; là un dîner baignant dans une pénombre épaisse comme pour contrebalancer les extérieurs de la scène précédente, à la clarté édénique. Le personnage de Jeanne, femme du peuple venant titiller la noblesse engoncée dans ses privilèges, ne constitue-t-elle pas à sa manière un signe avant-coureur de cette Révolution qui va emporter ce vieux monde ignorant qu’il expire ? Las pour elle, la du Barry fera aussi les frais du mouvement.
Au-delà du duo de têtes d’affiches (il y a d’ailleurs deux affiches en contrechamp pour célébrer Maïwenn et Depp), il convient de souligner dans la galaxie des visages et des rôles, la très belle interprétation du toujours juste Benjamin Lavernhe en La Borde, le “sherpa“ de Jeanne dans ce monde de convenances et de règles étriquées. Pareil au précepteur de Pu Yi campé par Peter O’Toole dans Le Dernier Empereur ou à un Jiminy Cricket en haut de chausses et livrée, il va au-delà de la fonction et demeure jusqu’au bout le plus sincère avec la détonnante roturière.
★★★☆☆ Jeanne du Barry de & avec Maïwenn (Fr.-G.-B., 1h56) avec également Johnny Depp, Benjamin Lavernhe, Pierre Richard, Melvil Poupaud…
pour aller plus loin
vous serez sans doute intéressé par...
Mercredi 9 juin 2021 C’est l’histoire d’un énième repas de famille auquel Adrien assiste alors que son esprit divague. Car la seule chose comptant pour lui à ce moment précis, (...)
Mercredi 9 juin 2021 À l’écran, on l’a connu odieux (Le Sens de la fête), irrésistible de drôlerie (Mon inconnue), fuyant (Antoinette dans les Cévennes) mais à chaque fois impeccable. Benjamin Lavernhe — de la Comédie Française — poursuit sur sa lancée en tenant...
Mercredi 28 octobre 2020 ★★☆☆☆ De et avec Maïwenn (Fr., 1h30) avec également Louis Garrel, Fanny Ardant, Marine Vacth…
Mardi 21 janvier 2020 De Arnaud Viard (Fr., 1h29) avec Jean-Paul Rouve, Alice Taglioni, Benjamin Lavernhe…
Mercredi 24 avril 2019 De Philippe Ramos (Fr., 1h10) avec Melvil Poupaud, Denis Lavant, Anne Azoulay…
Mardi 2 avril 2019 De Lou Jeunet (Fr., 1h47, avec avert.) avec Noémie Merlant, Niels Schneider, Benjamin Lavernhe…
Mardi 2 avril 2019 De Hugo Gélin (Fr.-Bel, 1h58) avec François Civil, Joséphine Japy, Benjamin Lavernhe…
Lundi 25 février 2019 Dans le film d’Ozon, il incarne celui grâce auquel le scandale éclate enfin. Riche d’une carrière de plus de trente ans dans le cinéma (mais pas seulement), Melvil Poupaud enchaîne les partitions exigeantes et variées sans jamais se diluer....
Mardi 5 février 2019 D’une affaire sordide saignant encore l’actualité de ses blessures, Ozon tire l’un de ses films les plus sobres et justes, explorant la douleur comme le mal sous des jours inattendus. Réalisation au cordeau, interprétation à l’avenant. En...
Mercredi 16 janvier 2019 De Eva Ionesco (Fr.-Bel., 1h52) avec Isabelle Huppert, Melvil Poupaud, Galatea Bellugi…
Mercredi 14 mars 2018 de Sophie Fillières (Fr., 1h35) avec Sandrine Kiberlain, Agathe Bonitzer, Melvil Poupaud…
Mercredi 13 décembre 2017 Kenneth Branagh était sans doute le mieux placé pour donner, des deux côtés de la caméra, une nouvelle existence cinématographique au classique d’Agatha Christie. Rencontre avec un cinéaste et comédien à l’humour et l’élégance toutes britanniques…
Mardi 28 novembre 2017 Les plus fameuses bacchantes de la littérature policière sont de retour sur Kenneth Branagh, nouvel avatar d’Hercule Poirot dans une version dynamisée du classique d’Agatha Christie. S’il n’efface pas celui de Lumet, ce "whodunit all-star game" est...
Jeudi 31 août 2017 de Teddy Lussi-Modeste (Fr., 1h32) avec Tahar Rahim, Maïwenn, Roschdy Zem…
Mercredi 12 avril 2017 de Stéphane Robelin (Fr.-All., , 1h40) avec Pierre Richard, Yaniss Lespert, Fanny Valette…
Mardi 13 septembre 2016 de Justine Triet (Fr., 1h36) avec Virginie Efira, Vincent Lacoste, Melvil Poupaud…
Mardi 1 décembre 2015 Trop rares, les incursions du cinéma français dans les sphères du pouvoir et les coulisses de l’appareil d’État donnent pourtant lieu à des films aussi palpitants que réussis. En voici un de plus — une première œuvre, de surcroît. Vincent Raymond
Mardi 23 décembre 2014 «Une fille dans chaque port» : c’est une devise des marins, et elle en dit long sur l’univers hautement viril qui règne au sein des équipages. Fidélio, (...)
Lundi 13 janvier 2014 Derrière une intrigue de polar conduite avec nonchalance et un manque revendiqué de rigueur, les frères Larrieu offrent une nouvelle variation autour de l’amour fou et du désir compulsif. Si tant est qu’on en accepte les règles, le jeu se révèle...
Lundi 10 décembre 2012 De Michel Leclerc (Fr, 1h57) avec Félix Moati, Éric Elmosnino, Sara Forestier…