Tours de force

Eddy Merckx et Lance Armstrong sont sans doute les deux coureurs cyclistes les plus haïs de l’Histoire. Coupables de trop gagner pour l’un, de trop et de mal gagner pour l’autre. Si La Course en tête, le curieux et rarissime documentaire de Joël Santoni sur la saison 1973 de Merckx, contribue à humaniser (sa famille, ses faiblesses, ses doutes, la détresse de ses – rares – défaites) "L’Ogre de Tervuren", il en fait aussi un objet de fascination, le filmant – musique comprise – comme un chevalier médiéval toujours sur le chemin de la guerre.

Ce genre d’image, Lance Armstrong a échoué à la construire durablement. C’est cette déconstruction du mythe basé sur un mensonge lui-même basé sur un mythe que The Armstrong Lie, d’Alex Gibney, parti pour être un documentaire sur le comeback du septuple vainqueur du Tour en 2009, va finalement montrer.

Tout part de ce cancer qui, en 1996, transforme le destin d’un jeune coureur fougueux en récit initiatique tel que les studios américains n’osaient le rêver. «Ma lutte contre le cancer était comme une compétition d’athlétisme. Soit on gagne, soit on perd. Si on perd, on meurt. J’ai injecté cette perspective dans tout ce que j’ai fait depuis (…).Quoi que je fasse, dit-il alors,  je ne souffrirai jamais autant» : on pourrait croire au triomphe de la volonté sur le traumatisme, comme moteur inépuisable.
Mais on connaît la suite : le moteur est gonflé, Armstrong s’appuyant sur son histoire pour se rendre inattaquable. S’il a vaincu «par miracle» la mort, si Lazare s’est relevé, comment ne pourrait-il pas gagner sept fois le Tour, à la force de ses mollets ? Le problème, avance un journaliste, c’est que «le gouffre entre le héros et la réalité était trop grand».

Or c’est en retrouvant une certaine humanité que le "Superman du cyclisme" manque de réussir le coup visé par son retour. En cette fameuse année 2009, il échoue à remporter le Tour – vendu, une énième fois, comme – arrachant de haute lutte une troisième place, malgré l’âge, malgré tout. Le lendemain d’une étape particulièrement accrochée,  L’Equipe – principal semeur de doutes sur les performances d’Armstrong (le documentaire doit son titre à une manchette du quotidien sportif) – titre «Chapeau, le Texan !».

Même si elle ne tiendra, là encore, pas longtemps, Armstrong réussit le tour de force, en héros quasi-fordien, de faire imprimer une dernière fois la légende qu’il entendait conter.  

Stéphane Duchêne

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