article publi-rédactionnels
«LE chien des années 2000»
Par Christophe Chabert
Publié Mercredi 26 septembre 2007
Michel Houellebecq, termine le montage du film qu’il a réalisé à partir de son roman La Possibilité d’une île, et participe à la Biennale d’Art Contemporain où il expose les œuvres du «prophète» du film. Propos recueillis par Christophe Chabert et Jean-Emmanuel Denave
Michel Houellebecq : (Long silence) C’est un ami commun. (Long silence) Au départ, je voulais quelqu’un pour faire des sculptures pour le film, La Possibilité d’une île. (Le téléphone sonne) Excusez-moi. Au départ, je voulais juste des sculptures, mais finalement, je me suis souvenu d’un musée que j’avais vu, le musée de la préhistoire, et je me suis dit que ce ne serait pas mal pour une scène d’avoir une salle avec des vitrines exposant les œuvres du prophète. Le prophète est censé être un artiste dont les œuvres reflètent sa vision du monde donc… (Long silence) donc c’est vrai que les mettre dans une exposition était assez naturel., car c’est déjà dans le film une espèce de lieu d’exposition.Les interprétations des œuvres du prophète sont différentes dans le film et dans le livre ?
Ah oui, ça a complètement changé, car le personnage a changé. Il est plus sérieux, plus tourmenté, moins charlatan.La Possibilité d’une île devient une forme de work in progress, du livre au film, maintenant une partie de cette exposition, avec à chaque fois des transformations…
(Long silence) C’est étonnant, mais en même temps d’un livre les gens ne connaissent que la version imprimée, donc ça peut paraître inamovible, sorti de rien, alors que c’est assez long en pratique. C’est aussi un work in progress où tout reste écrit et rien n’est montré.Comment le film peut-il échapper à cela aussi, puisqu’une fois monté, il sera projeté dans une version définitive ?
C’est pas pareil car beaucoup de gens participent, beaucoup de gens voient. Effectivement un film, ou quoique ce soit qu’on fasse, enfin pas quoique ce soit, on peut faire que des work in progress… (Long silence) Beaucoup de choses sont faites pour avoir un point final, les livres, les films, les expositions aussi. (Silence) On peut imaginer des œuvres qui bougent tout le temps, qui ne sont jamais terminées. Certains livres sont comme ça…Chez vous, on a l’impression que vos livres s’engendrent les uns des autres, un détail dans le roman précédent va devenir le centre du suivant. Le clonage abordé à la fin des Particules Élémentaires devient un élément décisif dans La Possibilité d’une île…
Oui, c’est vrai. (Silence)
Les personnages aussi…
Je ne sais pas, c’est parce que je suis difficilement satisfait, donc j’insiste. (Silence) Dans ce film, un personnage est directement inspiré d’un personnage secondaire de Lanzarotte. Oui, j’ai tendance à poursuivre, à ne pas arrêter avant d’être content de la conclusion.C’est étonnant de se retrouver dans cette pièce du musée où votre imaginaire est représenté, même à travers les représentations d’un de vos personnages : plus votre œuvre avance, plus le monde que vous créez prend de la cohérence, de la densité et presque une réalité…
Oui, mais c’est quand même l’œuvre de quelqu’un d’autre. J’ai besoin de m’imaginer que c’est l’œuvre de quelqu’un d’autre. Mais c’est vrai qu’un personnage tend à devenir quelqu’un d’autre, même si on l’écrit entièrement.C’est la sensation que vous avez eu en travaillant avec les acteurs pour le film ? Magimel par exemple ?
Oui, mais c’est vrai aussi d’un personnage de roman, bien que ce soit moins évident. Il faut forcément s’identifier avec tout.Y compris l’acteur, qui en retour doit s’identifier à vous ? Les premières images montrent que Magimel vous ressemble un peu dans le film, comme Philippe Harel vous ressemblait dans l’adaptation d’Extension du domaine de la lutte…
Oui, ça aide sûrement. Moi, je ne suis pas du tout acteur, donc je ne peux pas vous répondre précisément, mais je crois que ça les aide. Soi-même, on a tendance à se créer. J’ai souvent eu la sensation que les gens ses choisissaient une personnalité, ils s’habituent à l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes, et après ils changent plus. Tout le monde fait un peu ça. On a juste tendance quand on crée des personnages à systématiser, à les durcir comme on durcit sa propre personnalité. (Long silence) Pour être plus clair, chaque fois que quelqu’un dit «moi j’aime bien ça, moi je suis comme ci», il devient ce qu’il dit.Votre manière de traiter le futur donne le sentiment que vous aimeriez que le monde devienne comme ça, qu’il s’agit de la projection d’un désir très fort.
Non, je ne pense pas…La fin des Particules élémentaires m’apparaît ainsi comme une manière de sauver un monde condamné…
(Long silence) Vous trouvez ça pessimiste ou optimiste ?Plutôt optimiste…
Mais vous trouvez ça bien ?Au niveau moral ?
Oui, comme perspective…Comme perspective romanesque, j’avais trouvé cela assez fort…
Et comme perspective réelle ?Ça me paraissait déjà plus dérangeant, mais…
(Long silence) Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que ce serait vachement important de savoir ce que j’en pense, si j’y accordais de l’importance. Au fond, je suis totalement persuadé que ça ne dépend pas de moi. Et quand on est si persuadé que ça, ça réduit le pessimisme ou l’optimisme. On est vraiment pessimiste quand on est sûr de ce qui va se passer, mais je suis persuadé que je ne peux rien, que la littérature ne peut rien, que l’art n’a aucun pouvoir, que tout cela se décide ailleurs. Du coup, on n’a presque plus d’opinion quand on pense comme ça, on devient plus neutre. On est obligé de fantasmer une non-neutralité quand on a un personnage qui souhaite quelque chose…C’est votre démarche un peu positivisteCertainement, oui. C’est sûr que je ne fais pas partie des gens qui croient à l’importance d’une vie dans l’histoire. J’ai toujours tendance à chercher des causes lourdes auxquels les individus ne peuvent rien, je n’ai jamais été quelqu’un pensant qu’il pouvait changer quoi que ce soit. Je suis plutôt à la recherche de causes sociologiques massives, ou historiques. Du coup, pessimiste ou optimiste, ça devient plus restreint !Vous dîtes que ça ne se décide pas dans le milieu de l’art ou de la littérature, ça se décide où alors ?
C’est une très bonne question ! Quelque part entre l’économie et la technique, un mélange des deux. L’idée courante est que tout se décide dans le domaine de l’économie, c’est sûrement pas loin d’être vrai, mais je pense qu’on sous-estime la technique. Et accessoirement, je ne pense pas que ce soit un phénomène durable, mais ça peut jouer un rôle local, au niveau religieux. La religion détient une importance historique réelle.En se connectant avec la science ?
Non, sans se connecter, mais c’est une force puissante, sous-estimée.Cette connexion se fait dans La Possibilité d’une île, entre croyance, science, pouvoir…
Oui, c’est vrai, mais ça repose sur une hypothèse aventureuse : une religion nouvelle qui s’imposerait. C’est peut-être vrai, en tout cas c’est nécessaire pour qu’on croit au livre, mais ça se défend. C’est un sujet sur lequel je peux changer d’avis d’une interview à l’autre. Mais je ne pense pas que la fibre créative religieuse soit éteinte.Pour la Biennale, on vous a demandé de définir la décennie en cours… Comment avez-vous répondu à cela ?
J’ai répondu que ça dépendait des pays…En France, il ne s’est rien passé, et en Europe en général. C’est une période assez forte pour les Etats-Unis, pour la Chine certainement, pour l’Inde aussi… En Europe, il n’y a rien.Vous faites commencer le siècle avec le 11 septembre…
Oui. Pour le siècle !Concrètement, vous avez travaillé avec Rem Koolhaas et Rosemarie Trockel…
Non, non, non, je ne suis pas capable. Enfin, avec Rem Koolhaas si. Je lui ai dit que mon chien devait servir de modèle, que je voulais des personnes plutôt âgées, que la vieille dame devait donner l’impression qu’elle n’avait que son petit chien dans la vie. C’est déjà des indications ! Je suis très content des sculptures. Je lui ai dit que ça devait être une mégalopole… (Silence) Là, on se voit plus, mais… Rosemarie Trockel, c’était différent. C’est supposé être l’œuvre de quelqu’un d’autre, donc… (Silence) Je me suis juste dit que ça irait, que ce qu’elle ferait pourrait passer pour une œuvre de Patrick Bauchau tel qu’il est dans le film. À mon avis, ça marche bien.Il y avait une admiration particulière pour cette artiste ?
Oui, j’ai choisi, quand même !Elle a une formation scientifique, elle aussi…
Ah, je ne savais pas ! C’est une certaine évidence… Ça correspondait bien à ce que je recherchais, car ce ne sont pas des plans de trois minutes sur les vitrines. Il faut visuellement une certaine violence, quelque chose qui dégage immédiatement. Mais une de ses motivations à elle, c’était de sculpter mon chien, qui est très mythique pour elle. Il est né en 2000, c’est indiscutablement LE chien des années 2000. Il avait fait une tournée en Allemagne avec moi en 2005, et il avait beaucoup impressionné le public allemand pour sa dignité pendant les conférences.Vous avez un regard très différent selon les livres sur le monde de l’art contemporain : cela va de propos très violents contre l’actionnisme viennois jusqu’à un personnage plus nuancé de fonctionnaire au ministère de la culture…
À force de développer des personnages, on ne pense plus rien soi-même, c’est la vérité. Mais mes rapports sont bons avec l’art contemporain. (Long silence) En fait, on peut avoir une opinion quand on est loin, et là, je suis trop proche, c’est aussi difficile que si vous me demandiez mon opinion sur la littérature…Ou sur le cinéma français ?
Ce serait plus facile. (Long silence) Mais l’art contemporain est un domaine qui se porte relativement bien. (Long silence) Ce n’est pas un domaine qui se lamente sur sa gloire passée, sur ses difficultés d’exister (Silence) On n’a pas l’impression que les gens sont bloqués (Long silence) Ce n’est pas un domaine qui passe son temps à se demander s’il n’est pas mort.La possibilité d’une île sera-t-il prêt pour le festival de Berlin, où votre œuvre littéraire est très populaire ?
C’est un peu difficile, mais pas impossible…Vous n’étiez pas très satisfait de l’adaptation allemande des Particules Élémentaires…
À part les acteurs qui sont bons, le reste est quand même pas génial. Le scénario est raté.Vous auriez préféré, comme ça devait être le cas au départ, que Philippe Harel le réalise…
Oui, je pense que le film aurait été meilleur, c’était un sujet pour lui.Vous passez du roman à la musique, de la musique au cinéma, du cinéma aux arts plastiques… Mais tout ça découle toujours de la même source…
Il faut toujours plus ou moins que j’ai quelque chose à écrire. (Long silence) Y a le marché qui est une chose, pouvoir localiser des gens dans des cases… À l’heure actuelle, il y a peut-être plus de gens en France qui savent réaliser un film, mais ils filment des cartes postales. Le fait d’écrire en lui-même est devenu une sorte de technicité rare. La technique n’est pas forcément là où on le pense…
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