Créole

Par Russell Banks (Etats-Unis). Russell Banks est l’un des grands noms de la littérature américaine. Ancien président du Parlement International des Écrivains et membre de la prestigieuse Academy of Arts and Letters, il est traduit dans une vingtaine de langues et publié en France par Actes Sud. Son dernier recueil de nouvelles, Un membre permanent de la famille, dessine avec humour et empathie la complexité des relations familiales de l’Amérique contemporaine, à travers douze histoires émouvantes et profondément humaines.

Considérons le mot anglais creole, en espagnol criollo, en français créole et en haïtien kreyòl – terme forgé au XVIe siècle quand les soi-disant ancien et nouveau mondes sont entrés en collision et que le plus ancien monde de tous, l’Afrique, a été pris entre les deux. Ce terme pourrait en fait dériver du mot kiriyó qui signifie chrétien en langue yorouba. Le nom, ainsi que le processus de métissage ou de créolisation qui l’a engendré, m’ont fasciné et parfois même obsédé pendant des décennies ; ils revêtent une importance centrale pour la compréhension de la plupart de mes textes et occupent une place tout aussi centrale dans la façon dont je saisis l’histoire et la culture américaines. Aux XVIe et XVIIe siècles, les langues européennes avaient besoin d’un mot pour nommer l’inévitable mélange de corps et de cultures qui résultait de cette collision imprévue entre des mondes. Il leur fallait quelque chose pour marquer à la fois la différence et la similarité, la séparation et la fusion du neuf et de l’ancien dans les races, les langues, la musique, la nourriture, les techniques et les dieux, et même dans l’habillement et l’architecture ou dans l’interprétation à donner aux rêves, sans parler du monde physique qui les entourait, tant sur terre que sur mer ou dans le ciel. Dans un premier temps, le terme a seulement désigné des gens de descendance européenne qui étaient nés aux Amériques, et il a ainsi fonctionné comme un indicateur culturel permettant d’établir une discrimination entre une élite blanche européenne et une classe un peu moins distinguée de propriétaires terriens blancs. Il s’agissait d’une distinction de classe reposant sur la notion de supériorité culturelle européenne. Mais après quelques générations de mélange racial, un Creole, en Amérique, est devenu une personne dont les parents ou les grands-parents se répartissaient dans au moins deux des quatre races disponibles, à savoir la blanche, l’africaine, l’amérindienne, et l’asiatique. En peu de temps, le mot creole, en anglais, a servi à inclure plus qu’à exclure, de sorte qu’aujourd’hui le mélange des cultures, des ethnies et des classes est devenu la caractéristique identitaire essentielle dans toutes les Amériques, et c’est un processus que nous apprenons lentement à accueillir avec faveur au lieu de le craindre. C’est aussi une caractéristique du jazz, la musique que j’aime le plus, ainsi que du cinéma, du théâtre, de la danse et des arts plastiques qui m’attirent le plus spontanément, et enfin de la poésie et de la fiction dont j’ai le plus envie, en tant qu’écrivain, d’apprendre quelque chose.

(Traduit de l’anglais par Pierre Furlan)

Version originale

Consider the English noun, creole, or the Spanish criollo or the French créole and the Haitian kréole: a word invented in the 16th century when the so-called New and Old Worlds collided, and Africa, the oldest world of all, got caught in the middle. It may in fact be a derivation of the Yoruba term for Christian, Kiriyó. The noun and the process that gave birth to it, creolization, have fascinated and even at times obsessed me for decades and are central to my understanding of most of my writings, just as they are central to my understanding of American history and culture. In the 16th and 17th centuries the European languages needed a word to describe the inescapable mixing of bodies and cultures that resulted from the unanticipated collision between worlds. They needed a way to describe both difference and sameness, both the separation and the intermingling of new and old races, languages, music, food, technologies, and gods, even clothing and architecture and the meaning of dreams and the physical world that surrounded them on land and in the seas and the skies above. At first the term was applied only to people of European descent who happened to have been born in the Americas, and thus it functioned mainly as a cultural denominator, a way of distinguishing between a white European elite and a slightly less distinguished class of white landed gentry. It was a class distinction based on the assumption of European cultural and racial superiority. A few generations of racial mixing later, however, and a creole was a person with parents or grandparents of two or more of the four available races, Caucasian, African, American Indian, and Asian. And before long, creole had become inclusive instead of exclusive. So that today racial and class and cultural mingling has become the essential identifying characteristic of all the Americas, a process that we are slowly learning to embrace rather than fear. It’s characteristic of jazz, the music I most love, and the film and and dance and theater and art I am most readily engaged by, and the poetry and fiction I am most inclined, as a writer, to learn from.

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X