Par Christine Angot (France). Christine Angot est une figure emblématique de la littérature française contemporaine. Auteur de nombreux romans, elle a reçu le Prix Flore en 2006 pour Rendez-vous (Flammarion), et en 2015 le Prix Décembre pour Un amour impossible (Flammarion). Roman lumineux et tragique, il est l’histoire de la relation avec la figure maternelle. Toujours à l’affût du mot juste, Christine Angot brosse par petites touches un portrait sensible et magnifique de cette mère à qui elle rend hommage.
Je choisis faire parce que c’est un verbe, que le verbe c’est immatériel, que les verbes ça peut se conjuguer, parce que écrire c’est écrire les temps. Parce qu’on nous disait à l’école qu’il fallait, chaque fois qu’on pouvait, remplacer « faire » par un autre verbe, « faire » était laid, imprécis, on nous disait qu’il y avait toujours une autre possibilité, faire des courses on pouvait dire acheter, faire un cadeau, offrir, faire de la marche, marcher, faire une promenade, marcher en forêt, se promener, se balader, même faire du cheval disait on pouvait dire monter à cheval, on devait dire monter à cheval, une élève qui d’un air qui possédait des chevaux, et non pas avait, le confirmait. Avoir, être, faire c’était le même problème. Ou plutôt la même difficulté, puisqu’à la place de problème on pouvait dire difficulté, ennui, souci, contrariété. Faire de la peine pouvait se dire blesser, faire la cuisine, cuisiner, faire le ménage, nettoyer, faire la poussière, épousseter, faire un numéro, composer un numéro. Etc. Chaque fois il était possible de le remplacer. Dès qu’on voyait faire, il fallait l’éliminer, il fallait le traquer. Si on suivait bien ces conseils, nos rédactions seraient plus riches. Et faire un livre. Qu’est-ce qu’il y a de plus explicite que « faire un livre » ? Le faire. Il ne faut pas les écrire des livres, il faut les faire.
