La jeune garde de l'Asie du sud-est investit le MAC

Open Sea

Musée d'Art Contemporain

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Le Musée d'Art Contemporain présente deux expositions qui mettent en lumière l'inversion progressive du rapport entre les mots et les choses :" Open Sea", consacrée à la création contemporaine en Asie du Sud-Est et réunissant trente artistes, et une installation d'Antoine Catala. Jean-Emmanuel Denave

Avec le Nouveau Roman (Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Michel Butor...), dans les années 1960, le texte littéraire était devenu une sorte d'objet en soi, autonome, libéré de la psychologie et des intrigues du XIXe siècle...

Dans Les Choses de Georges Perec, les bibelots et les objets de la société de consommation viennent comme grignoter, voire effacer les personnages, pour prendre le devant de la "scène". Étrange littérature où l'objet gomme (titre d'un livre de Robe-Grillet) le sujet, où l'objet devient le sujet même du livre en quelque sorte.

Il est amusant alors de découvrir, au Musée d'Art Contemporain, qu'un trio d'artistes, réunis depuis 2003 en collectif (Vertical Submarine), vienne de Singapour pour à la fois poursuivre le propos de cette veine littéraire et, d'une certaine manière, le renverser, en composant un espace fictif et tangible à partir d'extraits de textes de trois auteurs (Poe, Robbe-Grillet et Perec).

Passant à travers une penderie, le visiteur, telle Alice suivant le lapin, s'engouffre avec A View with a room dans un petit labyrinthe tapissé de mots imprimés avant de déboucher sur une sorte de cabinet d'écrivain aux tons grisâtres. La pièce est comme mangée d'encre noire, le poste télé y est quasiment englouti, les choses émergent des mots ou bien vont y replonger... Cet espace, inquiétant ou paisible selon les sensibilités, baigne aussi dans l'ambiguïté : est-ce ici un lieu de résistance où le littérateur se cache de la censure, ou bien est-ce un futur petit bunker où le lecteur-savant fou deviendra dictateur ?

Les maux asiatiques

Lire de grands auteurs comme Hegel ou Marx n'empêche pas en effet les interprétations délirantes et "massacrantes". Á un autre étage du musée, le Chinois Shen Shaomin présente ainsi un lugubre mausolée où Mao, Lénine, Kim Il-Sung et Hô Chi Minh reposent dans leur cercueil de verre, tandis qu'à leur côté Fidel Castro agonise doucement. Le politique, l'histoire, les secousses culturelles récentes de l'Asie du Sud-Est sont des enjeux essentiels pour la majorité des artistes exposés ici.

Comme nous le précise Isabelle Bertolotti, chargée d'exposition,

les œuvres n'existent pas ici de manière autonome, elles sont presque toujours en lien avec le social, l'économique, le politique. L'iconographie, d'allure hyperréaliste ou un peu fleur bleue, est utilisée et détournée pour apporter un regard différent sur ces enjeux.

L'ensemble de l'exposition est en effet très visuel, très figuratif (et du coup assez facile et agréable d'accès) : on découvre beaucoup d’œuvres monumentales (lapin gonflable géant, chenilles), d'environnements à l'échelle 1 (une salle de classe d'un village birman où le gouvernement tente d'exercer un contrôle de la pensée dès les premiers apprentissages).

Des travaux dignes d'un intérêt passager, "sympathiques" mais bien peu renversants, à quelques exceptions près : la vidéo immergée en hommage aux boat people du Vietnamien Jun Nguyen-Hatsushiba filmée par six pêcheurs en apnée ; celle, fascinante, de Charles Lim suivant les conduites d'évacuation de la mousson à Singapour et l'œuvre entre mots et choses du collectif Vertical Submarine citée ci-dessus.

Les mots d'oiseau

De mots, de choses et d'images, il est encore et essentiellement question dans l'installation du Toulousain Antoine Catala (né en 1975, il vit depuis 2003 à New York), exposée au troisième étage.

Aujourd'hui, un mot, par le biais d'une recherche Internet, permet de faire se manifester des millions d'images. Puis, par le truchement des imprimantes 3D, un mot permet d'accéder à des fichiers, qui à leur tour permettent d'imprimer des objets associés à ce mot. Ainsi, avec l'aide des machines, une nouvelle équivalence physique est établie : objet = image = mot

écrit l'artiste.

Au MAC, il nous invite à parcourir un jardin totalement artificiel plongé dans la pénombre, inspiré des jardins poétiques de l'Écossais Ian Hamilton Finlay (1925-2006). Les stèles ici représentent des icônes rigolotes et l'on entend un joli texte créé grâce à un logiciel permettant à certains autistes ou paralysés cérébraux de communiquer. Pour le meilleur et pour le pire, le langage aujourd'hui semble se confondre avec l'objet technologique, l'image de synthèse et le défilé infini des données numériques.

Gageons qu'Antoine Catala et quelques autres y insuffleront ruptures et discontinuités, à l'image de Francis Ponge qui, dans Le Pré (texte entremêlant mots et réalité), écrivait : «L'oiseau qui le survole en sens inverse de l'écriture / Nous rappelle au concret, et sa contradiction, / Accentuant du pré la note différentielle / Quant à tels près ou prêt, et au prai de prairie, / Sonne brève et aiguë comme une déchirure / Dans le ciel trop serein des significations.»

Open Sea + Antoine Catala
Au Musée d'Art Contemporain jusqu'au 12 juillet

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