Les vendanges de feu

Commentaire / Une gargantuesque proposition de spectacles pour la saison 2005-2006 à Lyon avec l'ombre des débats avignonnais comme perspective possible et la question de l'identité des théâtres comme leitmotiv lancinant. Christophe Chabert

Souvenez-vous : il y a deux ans, le débat sur l'intermittence, les festivals d'été en pleine débâcle, le soulèvement des artistes pour des "états généraux de la culture". Et puis rien. Toujours pas de statut satisfaisant pour les intermittents. Les festivals d'été vont bien, merci. Quant à ces fameux états généraux, les débats lancés par une cohorte de spectateurs et de médias pendant le festival d'Avignon soulignent bien qu'ils n'ont pas eu lieu, tant les questions posées semblaient émaner d'une petite frange de gens se réveillant après un long sommeil et découvrant avec horreur ou fascination que le théâtre n'est plus ce qu'il était ! Le théâtre, ou plutôt le spectacle vivant puisque, malheur ! la danse et les performances sont dorénavant mises sur un pied d'égalité avec la vénérable pratique dramatique, qui elle-même commet des infidélités en s'accouplant avec la vidéo, oubliant parfois le texte au vestiaire... Comme un fantôme fatigué de la querelle entre anciens et modernes, on vit les "progressistes" s'étriper avec les "réactionnaires" à coup de grands principes. "-Les valeurs du théâtre, quand même... - Oui mais, le temps présent, le monde, la violence...- D'accord, mais le respect du spectateur ! -Et le respect de l'artiste, alors ?" Dialogue de sourds qui, on le voit bien, reconduit le problème posé il y a deux ans : que veut-on voir sur une scène aujourd'hui ? Ce à quoi on a envie de répondre, de guerre lasse : n'importe quoi, tant que c'est bien !Le festin nuCar une proposition radicale peut tout à fait emporter l'adhésion du spectateur, même profane, si elle est soutenue par un artiste responsable et talentueux. Et un spectacle populaire peut tout autant écoeurer par sa démagogie qu'enchanter par sa façon de se réapproprier les codes du théâtre avec sincérité et enthousiasme. Le désir farouche d'opposer une culture "noble, créative, risquée et avant-gardiste" à une culture néo-classique type Télérama ou au pur divertissement "qui plait au public" (regardé avec le mépris du gardien de buffles face à son troupeau par ceux qui ne jurent que par lui), n'est qu'un affrontement simpliste pour amuser la galerie. La réalité, celle des scènes de théâtre, est plus triviale et cruelle. Un metteur en scène, ça cherche, parfois ça trouve, parfois ça rate, parfois ça se repose sur une formule facile, parfois ça se perd dans ses pensées, parfois ça invente miraculeusement un petit instant de bonheur. Et la plupart du temps, ça court après des financements ! Dans cette galère-là, qu'avant on appelait "crise du théâtre", il y a une forme d'égalité des (mal)chances, que l'on soit puissant ou misérable, artiste orgueilleux ou modeste saltimbanque...Mais alors, dans ce contexte de crise, comment expliquer l'incroyable orgie théâtrale qui se prépare cette saison à Lyon ? Certaines scènes alignent jusqu'à 300 levers de rideaux, les noms prestigieux se bousculent sur les affiches, même les "petits" théâtres montent des projets de plus en plus ambitieux... Conjoncturellement, on justifiera cela par le fait que deux scènes importantes retrouvent leur place dans le paysage : le Théâtre Nouvelle Génération et, bien sûr, les Célestins, rénovés et dotés d'une nouvelle salle. Sans oublier l'apparition surprise d'une programmation régulière de spectacles privés parisiens au Palais des Congrès, initiative derrière laquelle on trouve Guy Sisti, ex-directeur du Théâtre Municipal de Grenoble. Ça fait beaucoup, certes, mais pourquoi se priver ? L'an dernier, les théâtres lyonnais annonçaient tous d'excellents taux d'abonnement et de remplissage... Si les chiffres sont vrais, on comprend l'envie de surfer sur la vague, même si tout le monde ne répond pas à cet engouement de la même manière. Qui es-tu, les théâtres ?On peut ainsi créer deux camps : ceux qui choisissent l'hétéroclisme, et ceux qui optent pour une ligne artistique rigide. D'un côté, La Croix-Rousse et les Célestins : l'identité, c'est la diversité, diversité qui reflète les envies du spectateur de théâtre moderne, nomade et pas forcément au fait des "écoles" esthétiques ; de l'autre, le TNP et le Point du Jour : l'identité, c'est la fidélité à des troupes, des artistes et des formes théâtrales qui ont entre elles des points communs théoriques et esthétiques, points communs défendus par les metteurs en scène qui dirigent ces maisons. Évidemment, tout cela n'est pas aussi tranché, et même un brin caricatural. Surtout, cette opposition ne tient que d'un point de vue de "spécialiste" ; le spectateur, lui, trouvera dans chacune de ces salles à boire et à manger, et fera de fréquentes infidélités à son théâtre de prédilection en allant frayer sans honte avec le théâtre d'en face... En embuscade à cette petite bataille aux enjeux limités, on préfère la méthode Lacornerie, du nom du directeur (avec Etienne Paoli) de La Renaissance à Oullins, qui a peut-être trouvé la formule pour mettre tout le monde d'accord. Plutôt qu'une programmation qui équilibre la chèvre de l'art et le chou du public, ou qui, à l'inverse, choisit de ne planter qu'un seul type de radis dans son jardin à la Française, il travaille depuis deux ans à une programmation thématisée autour du théâtre musical sous toutes ses formes. Belle idée puisque : 1) cela prouve que le théâtre est un art ouvert (Pan ! Dans les débats d'Avignon...) ; 2) qu'avec un tel thème, on peut aller de l'opéra à l'opérette, du rock au classique, de l'expérimental au music hall. Bref, qu'on peut trouver une identité sans sombrer dans le dogmatisme et en gardant une véritable diversité. Une idée qui n'est finalement que la version subtile de ce qui se pratique dans les centres culturels des villes "périphériques" (de la musique, du théâtre, de la danse, du cirque...). Une idée qui rejoint celle qui nous a guidés pour construire ce numéro : de grands thèmes qui offrent des parcours possibles dans les programmations théâtrales et chorégraphiques de la saison, sans frontière ni chapelles, où institutions et scènes émergentes, salles lyonnaises et salles de l'agglo, théâtre public et théâtre privé, peuvent se mélanger dans un grand calendrier d'une extrême richesse. En attendant le début des spectacles, où ces enjeux encore abstraits se transformeront en joies ou en désillusions...

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