Shakespeare sous toutes ses coutures

Théâtre / Comment faire entendre Shakespeare aujourd'hui ? À Lyon, Pascal Mengelle et Christian Schiaretti font raisonner le maître anglais avec la création de Macbeth et la reprise de Coriolan en faisant confiance à des traductions bien différentes. Nadja Pobel (avec AM)

Alors que l'Angleterre contemporaine regorge de plumes décapantes et possède une scène théâtrale parmi les plus vivifiantes en Europe, la statue shakespearienne continue de truster les levers de rideaux. Pascal Mengelle, de la compagnie grenobloise La Saillie, et Christian Schiaretti, metteur en scène qui n'a plus à faire ses preuves à la tête d'un TNP actuellement en rénovation, se confrontent au maître pour la première fois. La création de Macbeth par le premier et la reprise de Coriolan, monté en 2006 par le second, proposent des manières bien différentes d'aborder l'œuvre de Shakespeare et de la rendre encore audible aujourd'hui, que ce soit par le choix du traducteur ou le parti pris de la mise en scène (le réalisme face à l'onirisme). Dans les deux cas, il s'agit de mettre en images et en mouvement un homme qui perd la raison au contact du pouvoir, un sujet qui ne cesse d'avoir du sens.Une traduction impossible ?
Comment rester au plus près du texte, de son sens, mais aussi de sa construction littéraire et grammaticale en traduisant ces décasyllabes shakespeariens ? André Marcowicz, traducteur rendu célèbre par son travail sur l'œuvre intégrale de Dostoïevski, s'est attaqué à Shakespeare avec le même état d'esprit qui l'a animé face aux géants russes : en étant persuadé que la traduction neutre n'existe pas. Il n'y a qu'en anglais que Shakespeare se lit véritablement selon lui. Il considère son métier comme un travail d'écriture et d'écrivain, une invention perpétuelle, la plus sérieuse possible. Il prend un peu de liberté mais ne cherche pas à simplifier le texte initial comme le prouve sa version de Macbeth. Pour Jean-Michel Desprats, qui signe la plupart des traductions des volumes de la Pléiade, il n'y a pas de souci d'écriture propre mais une volonté de mêler une traduction directe et concrète en n'oubliant pas que le texte est fait pour être joué. Toute la poétique (allitération, rythme, ordre des mots...) est au service du comédien afin que sa mise en bouche soit facilitée. Ancien acteur lui-même, il sait l'importance de l'oralité qui ne doit jamais altérer la crudité des mots ou les insultes parfois proférées. Dans Coriolan, la dernière pièce écrite par Shakespeare et la plus politique de toutes, la densité du texte trouve son rythme grâce au sens assez accessible qu'il dégage.Un plateau nu
Christian Schiaretti ne cherche pas plus les fioritures dans la traduction qu'il a choisie qu'il n'en installe sur son plateau. Créée sur feu le plateau du TNP, le metteur en scène ne s'encombre pas de décor. Des murs à vif, des cintres à vue et une bouche d'égout pour écouler le sang des combattants et régurgiter les eaux troubles. Trente comédiens sur scène forment un ballet jamais nébuleux où chacun d'entre eux trouve miraculeusement sa place. Point de Nada Strancar dans cette reprise, mais Hélène Vincent dans la peau de l'envoûtante Volumnia, mère vampire de Coriolan (Wladimir Yordanoff). C'est du théâtre populaire, une tribu au sens des aînés dans lesquels Schiaretti dit se reconnaître, à commencer par Jean Vilar. Le théâtre est dans la place, sur la scène et aussi dans la salle souvent à demi-éclairée et dont les premiers rangs sont grappillés. Shakespeare, le théâtre élisabéthain et les questions sur la République tirent le spectateur par la manche. Disposition frontale dans le Macbeth de Mengelle où tout se passe sur scène : un drap blanc pour décor, les sorcières compactées en une et beaucoup de jeux sonores pour inventer une représentation très personnelle de l'onirisme de ce texte. La poésie guette, parfois insaisissable comme la folie dans laquelle sombrent les héros. Quelles que soient leur mise en scène ou leur traduction, ces deux spectacles montrent à quel point la question du pouvoir reste la même. Dans la Rome républicaine, en Écosse ou dans l'Angleterre moderne naissante, Shakespeare se fait le témoin de la démence des hommes et de leur trahison pour accéder au trône. Ce XXIe siècle balbutiant ne dément qu'à peine ce constat vertigineux.Coriolan
Au Studio 24 (Villeurbanne), du 28 janvier au 7 février. Macbeth
Au Théâtre de la Croix-Rousse, du 3 au 6 février.

à lire aussi

vous serez sans doute intéressé par...

Mercredi 5 juillet 2023 Alerte orange au Puy-en-Velay du 17 au 23 juillet : des rafales venant des 4 coins du monde sont à prévoir. Veillez à vous munir d’appuis bien solides, vous (...)
Lundi 5 décembre 2022 Le premier fils, Dimitri, impétueux, sanguin et violent, est le rival de son père, entiché de la même femme que lui. Le second, Ivan, cynique intellectuel athée (...)
Mardi 6 septembre 2022 Une femme aimante et disponible, un mari charmant et brillant : que pourrait-il arriver à ce couple en apparence parfait ? C’est l’intrigue qui rythme (...)
Mardi 26 avril 2022 Plus on progresse, plus on se fait du mal et plus on se tue, à petit feu. Avec Bienvenue dans l’espèce humaine, Benoît (...)
Mardi 26 avril 2022 Et si la vie, ce n’était pas choisir à tout prix, mais au contraire construire un tout ? Et si l’art, ce (...)
Mardi 26 avril 2022 On évolue tous avec le temps. On grandit, on comprend, on change. Qu’en est-il de notre débarras ? Lieu de la cachette par (...)
Mardi 26 avril 2022 Gerard Watkins revisite le chef-d’œuvre shakespearien à travers le prisme des sixties : pantalons pattes (...)
Mardi 26 avril 2022 Hugo, 23 ans, étudiant en sciences humaines, oscille entre ses origines algériennes et françaises. Lorsque sa mère le (...)
Mardi 29 mars 2022 Par Sibylle Brunel. Quand les petites bêtises entrainent les grosses, il est difficile de prouver que l’on peut encore répondre à la norme. A-t-on seulement (...)
Mardi 29 mars 2022 Notre civilisation s’effondre, tous les scientifiques le disent. Oui mais alors… Que faire ? Vaste sujet, pourvu que l’on (...)
Mardi 29 mars 2022 Et si la décolonisation n’avait été qu’une succession d’échecs dont on voit et paie encore les pots (...)
Lundi 28 mars 2022 Par Sibylle Brunel La Compagnie Momus Group revisite de nouveau ses classiques en donnant cette fois-ci un coup de jeune à Shakespeare. Le (...)
Mardi 29 mars 2022 Par Sibylle Brunel. Fred Radix, dans son nouveau spectacle La Claque, invite à une plongée dans l’effervescence des théâtres du XIXème. Le chef de claque (...)
Lundi 14 mars 2022 Drissa a 11 ans. Drissa est un jeune garçon noir. Drissa veut un chien. Car Drissa voudrait être banal. Avoir la vie « des blonds », qu’il voit à (...)
Lundi 14 mars 2022 En adaptant Candide, Arnaud Meunier convoque une nouvelle fois un Grand Texte de la littérature française au profit d'un discours des plus contemporains
Mardi 1 mars 2022 Du coup de foudre au coup du destin. Se rencontrer, s’enticher, s’aimer, s’installer, puis vouloir donner la vie… Et ne pas pouvoir. Confrontés à cette (...)
Mardi 1 mars 2022 Mettre en mouvement pour interroger les engrenages, systèmes, et forces puissantes de notre société. Danser, pour questionner notre possibilité à nous en (...)
Mardi 1 mars 2022 Inspiré du roman Quelques jours dans la vie de Tomas Kusar d’Antoine Choplin, Václav​ et Tomas met en scène la dissidence, la résistance, le combat, le (...)
Mardi 1 mars 2022 Elle avait tout pour être heureuse, mais rien ne va se passer comme elle l'imaginait. Fougueuse, pleine d'envies, sortant du couvent à 17 ans avec une (...)
Mardi 1 mars 2022 « Pardonnez mon retard… On va tous mourir ». Parce que le tri sélectif risque de ne pas suffire, la fin de l’espèce humaine est peut-être (...)
Mercredi 2 février 2022  Après une première moitié de saison d’une densité inédite, les théâtres attaquent 2022 sans baisser de rythme. Les six mois à venir seront riches comme rarement de découvertes et de grandes figures pour se clore sur la venue d’Ariane...
Mardi 1 février 2022 « Les premières nuits, tu ne dors pas ». Et puis après… Ca devient ta vie, d’être dans la rue, tout le temps. Un matin, l’homme seul se réveille, et (...)
Mardi 1 février 2022 On va le dire d’emblée : il s’agit sans doute de l’un des spectacles les plus puissants qu’il sera possible de voir cette année. Une gifle ? (...)
Mardi 1 février 2022 Par ailleurs romancier et accessoirement guitariste-chanteur au sein de l’improbable groupe de « rock en marche » The Disruptives, (...)
Lundi 24 janvier 2022   « Au voleur ! Au voleur ! À l'assassin ! Au meurtrier ! Justice, juste Ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné, on m'a coupé la gorge, on m'a dérobé mon (...)

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter