Directeur Général de l'Opéra de Lausanne, mais aussi metteur en scène, Eric Vigié est un amoureux de voix. A la magnifique mise en scène de "La Flûte Enchantée", initialement créée par son mentor Pet Halmen, il ajoute une pointe de mouvement et de fluidité, dans l'absolu respect des chanteurs, de la musique, et du chef d'oeuvre de Mozart. Propos recueillis par Alain Koenig
Je crois savoir que vous avez repris une mise en scène de Pet Halmen. En quoi la version revisitée par Eric Vigié diffère-t-elle de celle de Pet Halmen ?
Tout d'abord, il faut situer cette reprise dans une démarche plus globale de ma part. Je fus le premier assistant de Pet Halmen en 1986 lorsqu'il débuta sa carrière de metteur en scène, à la suite du décès de Jean-Pierre Ponnelle, dont il était le décorateur et costumier durant bien des années. Je dois dire qu'il fut mon maître pour la scénographie et les costumes (plus de 50 productions réalisées). J'ai fait un nombre important de productions avec lui entre 1986 et 1994. Lorsque je suis devenu administrateur artistique, puis directeur, je l'ai toujours invité dans les théâtres que je dirigeais. Jusqu'à cette Flûte faite à Lausanne en 2008, et qui a été la dernière production de son vivant, car il devait décéder six mois plus tard. J'ai décidé de la reprendre à Vichy, puis à Saint-Étienne, dans un souci de respect pour Pet, mais aussi pour y gommer ou extrapoler certaines de ses idées car je les connaissais bien. Je fus son assistant sur sa première Flûte en 1991 à Pretoria, et nous avions beaucoup travaillé sur la symbolique à l'époque. Personnellement j'y introduis une plus grande fluidité théâtrale et scénique. Pet était un décorateur et costumier, un concepteur extraordinaire, mais il manquait parfois d'un sens du mouvement et d'un peu de "chaleur" dans les relations humaines. Cela se sentait dans ses mises en scène. Il me laissait cette liberté de composer quelque chose de plus théâtral, et je dois dire que j'en ai profité à Vichy et Saint-Étienne. Pour résumer, l'image et le concept sont de Pet Halmen, le mouvement est plus personnel.
Vous avez très nettement mis l'accent, dans votre mise en scène, sur la portée symbolique et philosophique du Singspiel de Mozart. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs comment cela se traduit dans votre espace scénique ?
La véritable empreinte du "Singspiel" dans ce spectacle est portée justement par la relation que l'on crée entre les personnages et, selon les situations qu'ils vivent entre eux. Il y a des moments comiques, tragi-comiques, des moments de réflexion, de découverte, ou sentimentaux. Il faut arriver à graduer chaque scène, et tenter d'arriver au résultat que Mozart et Schikaneder avaient planifié : faire un spectacle où tous les genres se côtoient et qui doit laisser une image forte de ce qu'est la pensée du Siècle des Lumières.
On sent, dans cette production, un véritable respect du confort de mouvement, indispensable au métier de chanteur. Comment définissez-vous votre rapport aux chanteurs du plateau ?
Comme vous le savez je suis depuis de nombreuses années metteur en scène et directeur de théâtre. J'ai toujours eu un respect admiratif pour les chanteurs qui, tout compte fait, sont ceux qui laissent leur "peau et les os" en scène, devant le public. Le metteur en scène, aussi génial qu'il soit, ne fait que remplir l'espace scénique de ses idées... Le chef d'orchestre également est un accompagnant mais pas un acteur direct. Un grand chef n'a jamais mieux fait chanter un chanteur... Il peut le transcender...mais pas chanter à sa place. Même si j'ai fait des mises en scènes assez actives, ce ne fut jamais contre la musique ou contre le chanteur. Il y a la musique, le texte, la voix. Tout le reste est périphérique à mon avis. Plus le chanteur est libre dans une direction précise, travaillée, acceptée et aboutie, plus il sera libre en scène d'interpréter le rôle et d'en tirer toute la quintessence. La mode aujourd'hui de penser que le metteur en scène est celui qui fait le spectacle est une erreur, et on en voit parfois les résultats sur certaines scènes...
Personnellement, qu'est-ce qui vous touche le plus dans ce chef d'œuvre de Mozart?
Le plus émouvant pour moi sont toujours les trois enfants qui sont le point d'équilibre de tout l'Opéra. Ils sauvent tous les personnages... à part la Reine de la Nuit... qui les a envoyés au travers des trois Dames ! C'est la force de ces trois enfants magiques et mystérieux, et de leurs interventions toujours inespérées (comme si l'innocence avait toujours quelque part raison face aux forces supérieures). Ils sont le liant de la Flûte.
Quel est votre ressenti de l'évolution des mises en scène dans le monde de l'opéra ?
Je reprendrais ce que je disais un peu plus haut. Je ne m'attache pas à Lausanne, comme cela était le cas à Trieste ou Madrid, à faire des saisons de "metteur en scène". Je construis des saisons où tous les protagonistes sont au plus haut niveau de ce que je peux offrir au public. C'est toujours une question d'équilibre. Vous pouvez toujours avoir les meilleurs chanteurs du moment dans un spectacle hideux, au concept prétentieux, la soirée est gâchée par le visuel au détriment du sonore. Les metteurs en scène doivent surtout éviter d'estropier la musique, et déformer le livret au profit de leur concept, qui tient parfois à un fil... Ils devraient rêver un peu plus. Mais il y en a qui le font heureusement ! Je vous rassure !
La Flûte Enchantée de Mozart, ms Éric Vigié du 24 au 28 avril, Opéra-Théâtre de Saint-Étienne