Jeudi 13 avril 2023 Présenté en ouverture des Rencontres du Sud avignonnaises, Le Prix du passage rappelle la douloureuse situation des migrants bloqués aux portes de la Manche, ainsi que la réalité des trafics humains. Un “film social“ loin des codes du genre que son...
Cédric Klapisch : « J'aime bien jouer avec les frontières du documentaire et de la fiction »
Par Vincent Raymond
Publié Lundi 4 avril 2022
Photo : ©Emmanuelle Jacobson-Rocques / CQMM
Interview / Narrant une reconstruction après un traumatisme, En corps peut se voir comme un conte de la résilience mais aussi comme une nouvelle tentative de Cédric Klapisch de capturer le geste et le temps pour conserver une trace éternelle du mouvement sur un écran. Conversation à l’occasion des Rencontres du Sud à Avignon.
Pourquoi la danse ?
à lire aussi : Le Monde d’hier et En même temps : deux petits tours et ça repart
Cédric Klapisch : J’aime la danse depuis très longtemps — pas en pratiquant, mais en “regardeur”. Quand j’étais adolescent, j’allais voir Merce Cunningham, Carolyn Carlson, Richard Brown, Pina Bausch… J’ai connu l’évolution de la danse contemporaine jusqu’à aujourd’hui, l’École belge et l’École israélienne avec Hofesh Shechter qui se retrouve dans le film ; des gens comme Ohad Naharin, Sharon Eyal… De fil en aiguille, j’ai eu une espèce de culture de danse contemporaine. Et puis j’ai toujours eu des amis danseurs et assez tôt, j’ai filmé la danse à l’Opéra de Paris, dont on ne sait pas qu’elle donne 50% de classique et 50% de contemporain… En fait, il y a eu toute une série de choses dont je voulais parler et qu’il fallait montrer.
Au-delà de la danse, l’écriture du corps en mouvement vous intéresse depuis vos débuts mais vous l’aviez toujours traitée par le documenteur — avec le court métrage Ce qui me meut (1988) — ou le documentaire en signant les portraits d’Aurélie Dupont ou Renaud Lavillenie. Vous a-t-il fallu un travail d’appropriation d’images documentaires avant de passer à la fiction ?
Vous avez tout à fait raison : j’ai mis du temps à trouver la solution. On a justement beaucoup discuté de ça avec Santiago Amigorena, mon co-scénariste. L’idée quand on fait de la fiction, c’est d’arriver à trouver quelle histoire on raconte. Quand j’ai fait le portrait d’Aurélie Dupont, je la suivais, je filmais les spectacles et sa vie… Ne serait-ce que la voir s’échauffer le matin, pour moi, c’est un spectacle et il n’y a pas besoin de raconter une histoire avec ça : c’est juste beau à regarder. Ici, il fallait raconter une histoire et ça faisait 15 ans que je cherchais quel histoire je pouvais raconter. Et c’est vrai que Ce qui me meut, qui est aujourd’hui le nom de ma maison de production, ça part d’un court-métrage que j’ai fait sur Étienne-Jules Marey, un médecin physiologiste qui invente le cinéma parce qu’il cherche un outil médical pour étudier la locomotion chez le cheval, chez l’homme. Il se trouve qu’ensuite, les Frères Lumière ont utilisé cette caméra pour faire le cinéma, mais la caméra que Étienne-Jules Marey a inventée, c’était bien pour étudier le mouvement. Et la cinématographie, pour écrire le mouvement.
Tout ça m’intéresse dans le rapport du cinéma qui montre le mouvement — d’où le générique qui montre le corps au ralenti, presque en photographie. Et la difficulté c’était d’arriver à fabriquer de la fiction. J’ai mis du temps, mais j’ai l’impression que j’ai réussi dans ce film là inventer une histoire à l’intérieur. Beaucoup de choses se sont résolues quand je me suis dit qu’il fallait partir de l’accident, puis dérouler en inventant le personnage du kiné, la période où on lui dit qu’elle ne pourrait pas redanser… Beaucoup de danseuses m’ont raconté cette histoire — dont une amie de Marion Barbeau ; Aurélie Dupont à qui on a dit qu’elle ne pourrait plus jamais danser, et puis Pina Bausch qui l’a convaincue qu’elle pourrait à nouveau… Tout a été nourri par des histoires réelles.
Le début du film, jusqu’à l’accident d’Élise, n’est pas dialogué pendant un quart d’heure. Quel enjeu d’écriture et de mise en scène cela induit-il ?
Tout ce début reprend en fait les codes du cinéma muet : son copain vient l’embrasser sur la bouche, donc on comprend qu’elle a un copain. Ensuite, il s’éloigne. Puis, elle se prépare pour le spectacle. On voit le début du spectacle, les coulisses, et à nouveau son copain mais avec une autre fille. Du coup sa réaction à la tromperie, on la comprend visuellement. Et il y a une sorte de suspense parce qu’il faut qu’elle rentre sur scène, qu’elle danse car elle est le personnage principal. On utilise un suspense presque hitchcockien : on est là à la fois pour regarder de la danse, et une histoire se passe derrière la danse. Quand j’ai trouvé cette idée pour le début, j’étais heureux parce c’était la clef pour mélanger danse et histoire.
Après, à l’écriture, c’était totalement abstrait, parce qu’on a écrit avec Santiago une succession d’actions. J’avais presque envie de faire un pré-montage parce qu’en fait j’étais vraiment rivé à la musique : il y avait un passage de La Bayadère que j’aimais beaucoup qui durait 1’52’’, il fallait que la séquence dure 1’52“. Donc c’était super compliqué et ça l’a été jusque à la fin du montage parce qu’on ne savait pas si cette introduction allait durer 3, 5, 7 ou 15 minutes. À mon avis, on aurait pu tenir encore plus, mais ce qui est compliqué, c’est le choc que l’on fabrique au spectateur en commençant à parler ensuite : plus on le retarde, plus c’est bizarre. Parce que on a l’impression d’entrer dans un autre film.
Vous avez l’habitude de partager l’écriture avec Santiago Amigorena ; ici, vous avez en plus intégré un autre “auteur“ en la présence du chorégraphe Hofesh Shechter. Comment avez-vous mené ce dialogue à trois ?
Pour l’écriture, on n’a pas pas travaillé avec Hofesh, j’ai montré ses vidéos à Santiago. Là où Hofesh a participé, c’est pour les répétitions des spectacles en Bretagne. Il m’avait donné toutes les vidéos de ses spectacles, je disposais à la fois des chorégraphies mais aussi des musiques puisqu’il compose les siennes. Et j’avais choisi deux spectacles pour ce qu’ils racontaient au niveau des gestes. Notamment une partie de Grande Finale, Dead duets — le duo de la mort, où des hommes essaient de faire revivre leurs femmes mortes en les faisant danser. Cette idée, je l’ai trouvée tellement belle, tellement en relation avec ce qu’on racontait… C’était très signifiant qu’elle recommence à danser avec ça. Donc j’ai dit à Hofesh qu’on allait travailler là-dessus et lui a répété comme ça. Mais ce sont des choses qui sont presque du documentaire dans le film : j’utilise une séance de travail où il transmet à Marion Barbeau cette chorégraphie, et où la troupe qui travaille autre chose, ne connaît pas non plus ce ballet. Donc je filme son cours, ces séances de travail, c’est du documentaire pur.
En fait, En corps est un peu bizarre parce qu’il répond à trois logiques : les moments de fiction écrits et dialogues, les moments de captation où je suis en train de filmer La Bayadère ou Political Mother à la fin du film ; et puis des moments documentaires. Ce sont trois langages assez différents, et le film est le mélange de ces trois façons de filmer. C’est qu’il y avait déjà dans Ce qui nous lie, où il y avait presque une semaine de tournage documentaire de vendanges ; j’avais inséré des scènes avec Pio Marmaï, Ana Girardot et François Civil qui donnent des conseils aux vendangeurs. Pareil dans Ma part du gâteau, avec une scène au milieu des traders, où mes personnages sont réellement en train de faire des transactions de trading. J’aime bien jouer avec les frontières du documentaire et de la fiction ; ça crée une tension, une réalité. Et là, dans le cadre de la danse, c’était évident qu’il fallait filmer en documentaire.
Vous célébrez la grâce par la danse ou la musique ; la félicité à travers les plaisirs gastronomiques ou la contemplation d’un coucher de soleil. Y avait-il le désir de montrer l’importance de la culture et du beau dans la vie, après la période que nous avons traversée ?
Je ne l’ai pas réfléchi comme ça, mais oui. On avait tellement été privé de sortie de chez soi et de spectacle, qu’un coucher de soleil devenait un spectacle. Pourtant, quand je filmais les gens qui regardaient le coucher de soleil et le couple qui s’embrasse, je me disais que ça faisait cliché. Et en fait, je l’ai laissé dans le film parce que… ça fait du bien, quoi ! (rires) C’est vraiment la simplicité qu’on a essayé d’avoir à l’écriture. Il fallait que l’histoire soit simple. Et finalement, l’audace, c’était d’accepter les choses très simples.
pour aller plus loin
vous serez sans doute intéressé par...
Mercredi 23 mars 2022 La 10e édition du Dan.Cin.Fest se déroulera à Saint-Etienne du 31 mars au 3 avril.
Mercredi 30 mars 2022 À voir
★★★☆☆ En corps
À 26 ans, Élise est au sommet de son talent de danseuse classique. Mais une blessure (...)
Mercredi 11 septembre 2019 Renouant avec deux des comédiens de Ce qui nous lie, Cédric Klapisch revient dans la foule des villes pour parler… de solitude. Un paradoxe qu’il explique volontiers.
Mercredi 11 septembre 2019 Comment deux trentenaires parisiens confrontés à leur solitude et leur tourments intérieurs, s’évitent avant de se trouver. Cédric Klapisch signe ici deux films en un ; voilà qui explique qu’il soit un peu trop allongé, pas uniquement à cause des...
Mardi 20 août 2019 Le cinéma n’a pas de frontière. Le réalisateur français Olivier Coussemacq le prouve en signant un film on ne peut plus marocain. Rencontre (logique) à l’occasion des Rencontres du Sud…
Mardi 20 août 2019 C’est aux Rencontres d’Avignon que la rare Claire Devers avait réservé la primeur de son nouveau long métrage, "Pauvre Georges !", un film cachant son soufre satirique derrière l’apparente impassibilité de son héros-titre campé par l’impeccable...
Jeudi 2 mai 2019 Avec son alter ego Alban Teurlai, Thierry Demaizière s’est intéressé à une petite communes des Hautes-Pyrénées au prestige planétaire pour les chrétiens, depuis qu’une certaine Bernadette y a vu la Vierge. Regard d’un athée sur Lourdes, et propos...
Jeudi 2 mai 2019 Personnage pivot des Petits mouchoirs, Vincent est à nouveau interprété par Benoît Magimel. Conversation avec un comédien sur la manière d’appréhender un rôle et son métier à l’occasion des Rencontres du Sud d’Avignon…
Mercredi 5 septembre 2018 Léa Frédeval raconte la genèse du film adapté de son livre qu’elle avait présenté en primeur au Rencontres du Sud d’Avignon. Elle confie également ses futurs projets…
Jeudi 31 mai 2018 Grand écart climatique pour Samuel Collardey, qui a présenté en primeur aux Rencontres du Sud d’Avignon son nouveau film tourné aux confins de l’hémisphère boréal, Une année polaire. Une expérience inuite et inouïe.
Jeudi 26 avril 2018 S’il n’a tourné aucune image de son film inspiré de l’équipe de foot féminine de Reims dans la ville de ses exploits, Julien Hallard est bien allé à Avignon pour parler aux Rencontres du Sud de Comme des garçons…
Mercredi 4 avril 2018 De passage en quasi voisine aux Rencontres du Sud d’Avignon, la Montpelliéraine Elsa Diringer a présenté son premier long métrage, Luna. Le portrait d’une jeunesse bouillonnante qu’elle a su approcher, voire apprivoiser. En douceur.
Mercredi 14 mars 2018 de Jo Sol (Esp., 1h25) avec Antonio Centeno, Pepe Rovira, Arántzazu Ruiz…
Mardi 3 octobre 2017 Morte saison pour la nature, l’automne est au contraire celle d’une insolente éclosion de nouveautés dans les salles — avec le risque pour certaines de finir précocement au tapis. Une vigueur marquée par une étrange surreprésentation de corps...
Vendredi 8 septembre 2017 Avant d’aller à Cannes à la Quinzaine de Réalisateurs, Carine Tardieu était passée aux Rencontres du Sud pour présenter son film tourné en Bretagne. Rencontre avec une voyageuse…
Mardi 6 juin 2017 D’une vendange à l’autre, une fratrie renoue autour du domaine familial… Métaphore liquide du temps et de la quintessence des souvenirs précieux, le (bon) vin trouve en Cédric Klapisch un admirateur inspiré. Un millésime de qualité, après une série...
Mardi 3 décembre 2013 De Cédric Klapisch (Fr, 1h54) avec Romain Duris, Audrey Tautou, Cécile de France…