Interview / Nous l'avions rencontrée en mars 2021 alors qu'elle s'installait sous les arcades de l'hôtel de ville, la photographe Émilie Fontaine est contrainte de cesser temporairement son activité pour raison de santé. Pour autant, toujours aussi pétillante, la Stéphanoise d'adoption est à mille lieues d'abdiquer face à ce nouveau défi.
Peux-tu nous résumer la situation ?
« C'est aussi simple que ça : au bout d'une superbe première année passée dans ma boutique du centre-ville de Saint-Étienne, on m'a diagnostiqué un cancer du sein très agressif, version triple négatif. Malgré six longs mois de chimiothérapie, je vais devoir subir une assez lourde intervention chirurgicale pour préserver mes chances de rémission. J'ai donc confié mon local au collectif Parallax, les photographes Alexandra Dinca et Bernard Toselli ont pris quelques temps le relais de mon activité et de certains projets, mais je dois finalement mettre fin à mon bail auprès de la Mairie car je ne pense pas pouvoir reprendre le travail à plein temps avant le printemps 2023. Après mon opération, je devrai reprendre un long processus de soins. J'ai bien conscience que je ne pourrai pas assumer de sitôt les semaines de soixante-cinq heures qui ne m'ont jamais effrayée jusqu'ici ! Il faudra laisser du temps au temps. Je ferai donc sans doute un retour progressif, en privilégiant mes engagements auprès des scolaires pour le compte du CAN, le comité des activités nouvelles des écoles publiques. Si je vais sans doute abandonner le volet portraits et mariages, j'aimerais beaucoup reprendre mes ateliers débutants quand ça sera possible, mais ce sera forcément dans un autre lieu. Je réfléchis aussi, pour l'avenir, à une solution qui me permettrait de lier la photo, ou plus généralement la culture, à la prévention de la maladie. »
A en juger par tes vidéos publiées sur les réseaux sociaux, tu sembles aujourd'hui prendre une casquette de militante...
« Lorsqu'il t'arrive une tuile comme celle-ci et que tu vois toutes ces femmes dans le service de cancérologie, tu te dis qu'on ne parle pas encore assez de cette maladie. Aujourd'hui, une femme sur huit est touchée par l'une des multiples formes de cancer du sein. Personnellement, en parler est une vraie thérapie en soi, c'est bien sûr une façon d'exorciser mes peurs et mes craintes, mais c'est aussi une cause à laquelle je souhaite vraiment être utile. J'ai publié des choses sur Instagram et Facebook, que j'imagine dans une forme finale comme une sorte de manifeste. J'ai préféré communiquer, prendre les choses à bras le corps, que de m'isoler. En retour, je reçois énormément de signes de soutien, de toute part, ce qui ne m'étonne pas du tout des Stéphanois qui m'avaient déjà super bien accueillie quand je suis arrivée de Mâcon avec tout mon matériel photo. Certaines personnes m'envoient un mail sans même me connaître, simplement après avoir lu le message que j'avais collé sur la vitrine de mon atelier ! »
Parviens-tu à garder malgré tout une place pour la photo durant cette période compliquée ?
« Je n'ai pas touché à mon reflex depuis le début des soins, je crois avoir éprouvé une sorte de blocage car l'appareil photo est lié à mon travail que j'ai dû mettre en stand-by, mais mon smartphone a pris le relais ! J'ai donc beaucoup photographié les lieux de soin que j'ai découverts, les moments d'attente, les vides. C'est une approche totalement nouvelle pour moi puisque je documente mon parcours de malade à travers un geste photographique, mais sans mon matériel habituel. J'ai aussi réalisé un autoportrait pour le Estée Lauder Companies Pink Ribbon Photo Award. C'est un grand concours annuel et national qui a été créé en 2012 par l'association Ruban Rose, avec pour objectif de mobiliser le grand public en faveur de la campagne de sensibilisation au dépistage précoce des cancers du sein. En novembre, j'exposerai ma série Les couturières à L'Horme, dans la médiathèque de l'espace culturel La Buire. Je ferme donc mon atelier, mais je n'ai pas dit mon dernier mot ! »