Gautier Marchado : le théâtre comme étendard
Par Niko Rodamel
Publié Lundi 11 septembre 2023
Portrait / Comédien et metteur en scène, Gautier Marchado porte depuis bientôt dix ans la compagnie Parole en Acte. Portrait d'un homme engagé, habité par un théâtre qui se joue des cases et des étiquettes.
Gautier voit le jour à Saint-Étienne en 1993. Rien a priori ne le prédestine à prendre le chemin du sixième art. Maman est animatrice pastorale et papa commissaire de police. S'il y a beaucoup de livres à la maison, il n'y a dans la famille pas vraiment d'intérêt pour les pratiques artistiques. Toutefois les deux parents inscrivent leur fiston de neuf ans à un atelier théâtre, espérant débloquer son inhibition persistante.
« Pour moi le théâtre fut thérapeutique. Je souffrais d'une timidité maladive, j'étais un garçon qui parlait très peu. Etonnamment j'ai très vite accroché. Dès lors j'ai fait du théâtre partout où il était possible d'en faire : ateliers, MJC, option au lycée, stages... » Très tôt, Gautier apprécie ce nouveau terrain d'expérimentation : réunir des gens, prendre les choses en main et tester ses idées personnelles dans une pratique collective. Comme une évidence, il n'est plus question d'imaginer une autre voie. « J'ai obtenu à la fac un Master de lettres modernes, tout en poursuivant ma formation théâtrale au Conservatoire à Rayonnement Régional de Saint-Étienne. »
Premiers pas
Durant ces années fondatrices, Gautier apprend le métier comme assistant à la mise en scène auprès de Laurent Fréchuret (Théâtre de l'Incendie), ou avec Julien Rocha et Cédric Veschambre (Cie Le Souffleur de Verre). « Après avoir découvert le jeu, j'ai eu ensuite une vive appétence pour la mise en scène, avec un rapport très fort au texte. J'ai pu réaliser mes premières mises en scène avec des textes de Martin Crimp ou de Fassbinder, ainsi qu'un opéra-comique en un acte de Massenet, Le Portrait de Manon. »
À 21 ans à peine, Gautier crée sa compagnie, Parole en Acte. Il faudra toutefois attendre deux années pour faire aboutir une première création. Le jeune homme met en scène De Saxe, roman, un texte de Jean-Luc Lagarce. La pièce est achevée à l'issue d'une résidence de création au Théâtre le Verso. Depuis, la compagnie a monté sept projets en neuf ans. Gautier Marchado y met en actes les paroles d'auteurs classiques (Molière, Racine, Baudelaire...) ou plus contemporains (Jean-Luc Lagarce, Philippe Minyana, Nasser Djemaï...). « Chaque création prend en moyenne deux ans de travail avant d'arriver à la première du spectacle. Il faut donc faire tourner la ou les dernières pièces tout en écrivant le projet suivant. Comme aux échecs : toujours avoir plusieurs coups d'avance ! »
Militant
Délégué syndical du SYNAVI (Syndicat National des Arts Vivants), Gautier reconnait que « la question de la diffusion reste très très compliquée. Faire tourner nos spectacles devient difficile car il y a d'énormes embouteillages dans les lieux qui ne sont pas assez nombreux. » Le trentenaire milite donc pour la nécessaire diversification des lieux de spectacle.
« Je suis de plus en plus claustrophobe face aux cases. Au-delà des salles de spectacles, il est nécessaire que le théâtre se vive dans les lieux non dédiés comme les MJC, les établissements scolaires, même en extérieur ! Je serai bien entendu toujours heureux de jouer dans une belle salle, mais j'éprouve un sentiment d'utilité et d'accomplissement lorsque que je ne joue pas dans un théâtre. On nous reproche une forme d'élitisme et pourtant, c'est une vraie frustration quand on constate que l'on ne parvient toujours pas à toucher certains publics. On crée pour des lieux qui nous achètent nos spectacles, mais on peut aussi poser cette question : qui au juste vient dans ces lieux ? »
« Molière, c'est un véritable appel au trouble de l'ordre public ! »
Animé par l'envie d'être une sorte de passeur, Gautier aime l'idée de se tenir à un carrefour, de permettre aux gens de goûter des textes où ils trouveront à la fois de l'émotion et de l'intelligence.
« Le théâtre est un art qui nous permet de sortir du rapport au temps. Quand je monte Racine ou Molière, je n'ai pas l'impression de monter des classiques. Lorsqu'une comédienne ou un comédien vient dire un texte, même ancien, celui-ci devient du présent, là, maintenant. » Gautier explique que les textes dits anciens nous servent encore aujourd'hui comme des outils de compréhension et d'esprit critique. « Racine nous dit que le pouvoir peut rendre dingue quelle que soit la morale. Chez Molière, on entend qu'aucune domination sociale n'est une fatalité, puisque les gens au bas de l'échelle trouvent le moyen de retourner la situation. Molière c'est une bouffée d'air frais, un véritable appel au trouble de l'ordre public ! »
Toujours sur la brèche
Conventionnée à l'Émergence auprès de la ville de Saint-Étienne de 2019 à 2022, la compagnie Parole en Acte travaille aujourd'hui dans différents lieux, au gré des résidences qu'elle a pu obtenir. Le mois d'octobre s'annonce plutôt dense pour Gautier et son équipe. Il n'est rien d'impossible pour peu que l'on s'en mêle ou Méfiez-vous du peuple ! sera joué à Saint-Étienne quatre soirs de suite, à partir du 10 au Chok Théâtre. Britannicus sera donné le 20 octobre à Roanne dans l'écrin du Théâtre Municipal, à 14h puis 20h. Gautier sera également présent sous la Gayola, place Jean-Jaurès, pour le programme Mots en Scène à l'occasion de la Fête du livre. « Je mettrai en scène une sélection d'extraits du roman d'Agnès Desarthe, Le château des rentiers, dans une proposition d'une vingtaine de minutes en présence de l'autrice. »
Toujours sur la brèche, Gautier travaille sur une nouvelle création pour la saison 2024-2025, Juste un été. C'est un projet né de Amour promis, premier roman (paru en 1909) de Émile Clermont, auteur stéphanois considéré à l'époque comme l'héritier de Proust, mais dont la carrière prometteuse sera brutalement stoppée par la Première Guerre Mondiale, avant de tomber dans l'oubli.
« Juste un été n'est pas une adaptation littérale du roman d'Émile Clermont car j'ai pris certaines libertés avec le texte, m'inspirant notamment du peintre danois Vilhelm Hammershoi dont l'oeuvre laisse entrevoir, entre intimité et silence, une certaine forme de violence. » Nous l'aurons compris, Gautier Marchado est un homme passionné qui ne manque ni d'idées, ni de ressources. La compagnie Parole en Acte n'a donc pas fini de faire parler d'elle.
Repères
1993 naissance de Gautier Marchado
2014 création de la compagnie Parole en Acte
2016 De Saxe, roman
2017 T-Time, tribune théâtrale pour temps trouble
2017 Tu devrais venir plus souvent
2018 Noctambulis
2019 Immortels
2021 Britannicus
2022 Il n'est rien d'impossible...
2024-2025 Juste un été
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