Guitry, l'immoral

Mardi 28 novembre 2023 / Lyon

CinĂ©-collection / Les salles du GRAC proposent jusqu'Ă  fin dĂ©cembre de redĂ©couvrir deux films de Sacha Guitry, Le Roman d'un tricheur et La Poison, et avec eux l'œuvre d'un authentique cinĂ©aste par-delĂ  l'auteur brillant et le comĂ©dien gĂ©nial.

Photo : Sacha Guitry, tricheur dandy © Gaumont

Il est arrivé à Sacha Guitry ce qui tomba sur le nez de Michel Audiard quelques temps plus tard : de cet artiste complet ne restèrent que ses aphorismes, citations tronquées ou tordues par les pensionnaires des Grosses Têtes époque Philippe Bouvard. Même le comédien, authentique génie de la musicalité et de l'imaginaire, fut réduit à un phrasé qu'on dit inimitable alors qu'il est ce qu'il y a de plus facile à copier dans son jeu. Quant au cinéaste, Guitry fut le plus injuste critique de lui-même, affirmant jusque dans l'introduction de La Poison (1952) : « on ne me fera pas appeler ça [le cinéma] autrement que du théâtre ». Il en remontre pourtant à bien des réalisateurs imbus de leur métier : il pousse par exemple les murs des studios pour s'y permettre des mouvements d'appareil inédits et des angles de vues à faire pâlir Orson Welles.

L'art de la triche

Surtout, Guitry a dĂ©veloppĂ© dans son œuvre une passion immodĂ©rĂ©e pour l'immoralitĂ©. Qu'il ne regarde pas comme un dĂ©goĂ»t envers la morale, mais bien comme une vertu sinon une inspiration esthĂ©tique. Ainsi de sa famille du Roman d'un tricheur (1938), intoxiquĂ©e par des champignons et qui disparaĂ®t d'un claquement de plans Ă  l'image. Dans ce qui est sans doute avec Casino de Scorsese le plus grand film parlĂ© de l'histoire du parlant, presque uniquement racontĂ© en voix-off, la triche est un art et une Ă©thique. Puni parce qu'il avait volĂ©, le jeune Sacha a la vie sauve, alors que ses parents meurent d'avoir Ă©tĂ© « honnĂŞtes ». Quant au mari martyrisĂ© de La Poison, incarnĂ© par un Michel Simon exceptionnel, il veut supprimer sa harpie de femme mais en aura le courage seulement après qu'un avocat lui ait dictĂ© la parfaite prĂ©mĂ©ditation du crime : celle qui lui assure son acquittement. Dans ses meilleurs films, Guitry fait de l'immoralitĂ© un terrain de jeu Ă  tous les sens du terme : au plaisir d'inventer des situations se joint le plaisir de laisser les acteurs s'en griser Ă  l'Ă©cran, et nous avec, notre morale au placard.

Cycle Farces et attrapes
Dans les salles du GRAC (grac.asso.fr)
Jusqu'au 31 dĂ©cembreÂ