David Irle : « Les Ecocup, c'était avant tout un moyen de gagner de l'argent »

Dossier / Éco-conseiller auprès du secteur culturel, David Irle est le co-auteur de "Décarboner la culture" (PUG, 2021), un ouvrage de référence sur l’empreinte carbone de la culture, dans lequel il dresse un diagnostic précis et donne des pistes pour l’avenir.

Pour vous, l’impact environnemental de la culture n’est pas tant quantitatif que significatif. C’est-à-dire ?

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David Irle : Dans la culture, si on ne se ment pas, il n’y a pas tant d’endroits que ça où les impacts sont énormes, on est sur des petits impacts, c’est pour ça qu’ils peuvent être parfois durs à travailler. En revanche, ils ont un sens qu’il faut interpréter. Parfois, ils ont une puissance symbolique. L’été dernier à Aix-en-Provence, Romeo Castellucci, pour le final de son spectacle Résurrection, a décidé de déverser une pluie artificielle sur le plateau pendant une vingtaine de minutes. Ce choix scénographique représente la moitié d’une piscine à remplir, donc en termes d’impact environnemental, on ne peut pas dire que c’est délirant. Mais dans un contexte d’alerte rouge à la sécheresse, avec des arrêtés préfectoraux qui interdisent d’arroser son jardin, même une demi-piscine, symboliquement, c’est très fort. S’il y avait eu un maraîcher dans la salle, il aurait pété un plomb. Et là on a un artiste qui n’en tient pas compte, ça ne fait aucun remous…

Ensuite, l’impact environnemental de la culture est significatif puisqu’il pose la question de la résilience économique. Quand on fait le bilan carbone des salles de cinéma, on se rend compte que 90% de leur impact, c’est la venue des spectateurs et le fait qu’ils se déplacent en voiture. Si on rapporte ça à l’impact transport de toute une région, c’est peanuts, mais c’est extrêmement significatif car ça veut dire que le modèle économique des salles de cinéma repose sur la voiture individuelle et sur le fait que l’essence ne soit pas trop chère…

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Dans votre livre, vous pointez du doigt l’explosion des jauges de certains gros festivals, un phénomène qui alourdit considérablement leur empreinte carbone. Ce type d’événements est-il amené à disparaître ?

La mobilité du public représente 80% à 95% de l’impact carbone d’un festival. Quand je fais un exercice de prospective, je ne vois pas comment on pourrait rendre soutenables certains événements. Par exemple, Coachella, Burning Man, Sziget Festival, je vois une probabilité très, très, très faible pour qu’on puisse les rendre soutenables ; et si ce n’est pas soutenable, ça disparaîtra. En revanche, la question se pose sur les Vieilles Charrues. 250 000 personnes qui convergent au bout de la Bretagne, je ne suis pas sûr que ce soit jouable mais ça se questionne un peu plus car 70% à 80% de leur public vient plutôt de Bretagne, de pas si loin, donc ça se regarde. L’enjeu, c’est à quel point ces grands événements s’inscrivent dans de nouvelles pratiques qui pourraient les rendre durables.

On peut imaginer une forme de réadaptation à des capacités infrastructurelles et des bassins de vie. À Paris, avec un bassin de 10 millions d’habitants, il est complètement envisageable d’organiser un festival à 100 000 personnes sur un week-end. Mais quand tu commences à vouloir faire un festival à 200 000 personnes dans la Creuse, c’est plus compliqué. En fait, c’est le succès d’un projet qui génère des impacts environnementaux, pas le projet en lui-même, c’est ça qui est terrible. Ce qui amène à se demander : qu’est-ce que le succès ? Faire venir le plus de monde possible ? Ou réussir à faire venir les gens de son village, de sa cité, de son bassin de vie ?

Un festival comme Tomorrowland à l’Alpe d’Huez, il s’en fout des éco-conditions, parce qu’il s’en fout des subventions, du coup il peut faire tout ce qu’il veut. 

Pendant longtemps, l’une des seules mesures écolo visibles sur ce type d’événements, c’était les fameux Ecocup. Mais au fait, est-ce vraiment écolo ?

Les Ecocup, c’est complètement représentatif d’à quel point on a été à côté de la plaque sur ces sujets-là pendant 20 ou 30 ans. D’abord, à l’échelle des impacts environnementaux d’un festival, c’est une mesure cosmétique. Ça ne veut pas dire que ce n’est pas intéressant de limiter les déchets, de sortir du plastique à usage unique. Ça pouvait être une bonne idée de commencer par ça. Mais on a un peu fini par ça… Et en plus, pour le faire bien, il aurait fallu passer à des Ecocup mutualisés, non marketés, réutilisables d’une année sur l’autre, afin que ça ne devienne pas une collection dans nos placards.

Pour qu’un Ecocup soit intéressant du point de vue environnemental par rapport à un gobelet en plastique à usage unique, il faut l’utiliser entre 7 et 15 fois selon les modèles… Pourquoi on ne l’a pas fait comme ça ? Parce que les Ecocup, c’était avant tout un moyen de gagner de l’argent. Un festival faisait facilement 8000 à 10 000 euros de revenus avec ça. C’était un goodies porté par un effet de mode. Ces derniers temps, il y a aussi un effet de mode sur les gourdes. Tout le monde y va de sa gourde mais attention, n’en fabriquons pas chaque année ! C’est bon : les gens ont des gourdes, ils se débrouillent !

On voit petit à petit apparaître des politiques d’éco-conditionnalité des subventions de la part des collectivités territoriales. Une solution que vous ne jugez pas forcément idéale…

Une telle politique va uniquement taper sur ceux qui ont besoin de subventions. C’est le gros du problème. Un festival comme Tomorrowland à l’Alpe d’Huez, il s’en fout des éco-conditions, parce qu’il s’en fout des subventions, du coup il peut faire tout ce qu’il veut. Mais celui qui doit faire attention, c’est le festival qui a besoin de subventions et qui potentiellement pose moins de problèmes que Tomorrowland… Je pense qu’il vaut mieux pivoter avec des leviers plus réglementaires, des interdictions, des bilans carbone obligatoires… Pour les grands festivals par exemple, je commence à proposer un plafond en bilan carbone, donc un budget carbone.

L’autre écueil des éco-conditions, c’est de les mettre en œuvre sans indicateurs fiables, sans personnes compétentes pour assurer le suivi, et sans accompagnement. On a fait cette erreur avec les Zones à faibles émissions (ZFE). On les a mises en place sans accompagnement, sans compétences pour faire le suivi et sans outils. Résultat, les gens sont en colère, ils ne peuvent pas changer leurs véhicules, ils n’ont pas de solutions alternatives, ils sont coincés, d’autant qu’on n’a pas spécialement renforcé les transports en commun dans les ZFE. Ce n’est pas une mauvaise idée l’éco-condition, mais ça se réfléchit, ça se pense, c’est complexe.

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